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Le beurre ou l’argent du beurre

samedi 1er décembre 2007

La question posée est celle de la politique économique de Nicolas Sarkozy, en clair de sa cohérence. Depuis le départ, le président nous rejoue une forme de "ni-ni" devenu "et-et" : et étatisme et libéralisme. J’aide la consommation devant les salariés et j’aide les entreprises devant le Medef, je veux une politique de la demande et une politique de l’offre. C’est le président bi. Comme le souligne l’économiste Patrick Artus (Flash n° 463, Natixis), "il faut choisir", parce que les deux lignes correspondent à deux cohérences, et les mélanger aboutit à des "contradictions".

Politiquement, on comprend : grâce à une inflexion sociale, Nicolas Sarkozy a pu effacer son image de libéral brutal. Cette "triangulation" l’a fait élire ? Il le dit. Soit. Mais, économiquement, il était temps de clarifier le diagnostic des maux de la France pour apporter un remède de long terme, et pas du "et-et" inefficace, comme le paquet fiscal de l’été.

Or le diagnostic est connu : il n’y a pas de problème de pouvoir d’achat en France. Si le président continue de le croire et de le dire, ce qui l’a élu le perdra sûrement. Car il ne pourra jamais "livrer", comme disent ses amis américains, c’est-à-dire tenir cette mauvaise promesse, celle de donner le beurre et l’argent du beurre.

Il n’y pas de problème de pouvoir d’achat, car en fait il y a trop de pouvoir d’achat ! La France accuse un déficit croissant de ses comptes extérieurs : 0,3 % de son PIB. C’est la preuve qu’elle consomme plus qu’elle ne produit et, en clair, qu’elle vit au-dessus de ses moyens, comme le souligne Jacques Attali (Le Point du 22 novembre). Elle s’endette pour consommer.

Peut-on imaginer une poursuite de la politique économique d’endettement, à l’américaine en somme ? Sur le papier, oui. L’Etat doit déjà 1 100 milliards d’euros, mais, en se moquant de laisser l’ardoise aux enfants, il n’est pas impossible de creuser encore et encore les déficits. Et puis, si l’Etat est au taquet, il n’est pas impossible de demander aux ménages de vider leurs fonds d’épargne.

Le hic est que la France n’a pas les moyens de l’Amérique. Ni son autonomie économique (la France dépend plus du commerce extérieur) ni son autonomie monétaire. Elle partage l’euro avec douze autres pays et elle ne peut pas s’endetter en comptant sur les autres pour régler la note. La politique de la demande gonflée, c’est-à-dire de l’endettement permanent, est une politique intenable.

La voie américaine ne serait possible qu’à l’échelle européenne tout entière, à commencer par l’Allemagne. "S’il faut soutenir le pouvoir d’achat, c’est en Allemagne qu’il faut le faire", souligne Laurence Boone, économiste chez Barclays.

Et, surtout, ce n’est pas la bonne politique. Au lieu d’écouter son conseiller Henri Guaino, qui la prône, Nicolas Sarkozy ferait bien d’écouter les maîtres à penser keynésiens de son conseiller. Ils disent l’inverse de lui. Robert Solow, Prix Nobel, à Paris cette semaine, déclarait : "Compte tenu de l’évolution démographique et de l’augmentation rapide de la population âgée, la France doit accélérer le rythme de croissance de sa productivité si elle veut seulement maintenir le niveau de vie moyen de sa population."

Productivité ! C’est la clé : dans toutes les économies, les salaires ne peuvent croître plus vite que la productivité sans déséquilibre. Or, en France, les gains de productivité par salarié ne cessent de décliner : 4 % l’an en 1970, 1,5 % l’an dernier. Pourquoi ? A cause du manque de réformes structurelles, de ce qu’on appelle une politique de l’offre. Faute d’investir assez, faute d’un marché du travail encourageant l’emploi, faute de concurrence dans de nombreux domaines (le commerce), faute d’avoir admis que l’Etat devenait inefficace en grossissant, à cause aussi des 35 heures qui ont promu le loisir, à cause de tout cela réuni : la France vit au-dessus de ses moyens.

Répétons : le mal français n’est pas de trop consommer, mais de ne pas produire assez. C’est là que doivent porter les efforts du gouvernement. Le paquet annoncé par Nicolas Sarkozy va finalement dans le bon sens : il pousse à échanger les loisirs contre le travail, sans faire appel aux deniers publics. Le doit-on à François Fillon ? En tout cas, M. Sarkozy s’est rangé (définitivement ?) du côté de la politique de l’offre. Ouf, donc.

Reste que s’il n’y a pas de problème macroéconomique de pouvoir d’achat, des catégories de Français ont un réel problème de pouvoir d’achat. La première raison est globale : la modération des hausses est venue du choix des 35 heures. L’Insee donne une deuxième explication, plus spécifique : ce ne sont pas les salariés à temps complet qui souffrent, mais ceux, de plus en plus nombreux, qui ne trouvent qu’un travail à temps partiel ou qui restent inactifs entre deux jobs. Les jeunes et les ouvrières sont les plus touchés. La remise au travail, souhaitée par le gouvernement, est la bonne politique. Mais elle devrait comprendre des mesures spécifiques pour que la flexibilité nécessaire ne se fasse pas toujours aux dépens des mêmes.

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