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De probables effets négatifs sur la croissance

A propos des 35 heures

mardi 3 mars 1998

Face à une question aussi difficile que celle des conséquences d’une réduction forte et brutale de la durée du travail, le devoir de l’économiste est d’apporter tous les éclairages méthodologiques dont il peut disposer, mais aussi d’être très clair sur les limites de ses instruments et les aléas de ses conjéctures. Il peut enfin avoir à suggérer dans le cadre des objectifs fixés par le pouvoir politique les modalités alternatives qui lui semblent les plus appropriées.

Que faut-il penser des simulations économétriques ?

Le débat sur les 35 heures a rebondi avec la publication récente de travaux économétriques conduits par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité (DARES, 1998) et par l’Office français des conjonctures économiques (OFCE,1998).

Les modèles macroéconomiques sont en fait relativement peu adaptés pour simuler l’impact de mesures sans précédent historique. Qui peut dire aujourd’hui ce que sera le comportement des acteurs économiques face à une situation totalement nouvelle et qui apparaît encore floue ? Des questions essentielles restent à préciser dans une loi ultérieure. Il en résultera une période d’incertitude et de perturbation qui échappe à toute modélisation. Les auteurs des études publiées en sont bien conscients et affirment que leurs travaux ne doivent pas être considérés comme des prévisions.

L’expérience montre que telle n’est pas toujours l’interprétation des lecteurs. Il nous semble donc nécessaire de faire une analyse rigoureuse des simulations publiées. En outre, dans la mesure où il ne s’agit pas de prévisions mais de scénarios hypothétiques, il reste une large place pour tenter d’apprécier la probabilité des évolutions possibles et les risques que l’on peut y associer.

Analysons dans un premier temps ces simulations. De telles simulations sont classiques en économie et elles s’avèrent utiles à la réflexion et au débat, sous résèrve toutefois d’en connaître les limites.

L’OFCE a procédé à une simulation macroéconomique afin de faire apparaître un jeu de conditions dont la combinaison pourrait rendre compatible une diminution de la durée effective du travail à 35 heures et le maintien de la situation financière des entreprises. Les principales hypothèses sont les suivantes : 1) les entreprises connaissent à l’avance le cadre légal qui leur sera imposé ; 2) elles réduisent toutes effectivement la durée effective à 35 heures avant le 1er janvier 2000 afin de bénéficier des aides Aubry ; 3) la compensation salariale est de 70 % ; 4) les gains supplémentaires de productivité horaire du travail sont légérement supérieurs à 5 % pour les salariés concernés, soit environ 3 % en moyenne pour l’ensemble des entreprises (en plus des gains habituels).

Sous ces hypothèses, la simulation de la baisse de la durée effective du travail (appliquée aux seules entreprises de plus de 20 salariés) conduit, selon les calculs de l’OFCE, à un accroissement de l’emploi de 150.000 par an de 1998 à 2000, soit en tout à 450.000 postes. Cette simulation repose notamment sur l’hypothèse que la totalité des entreprises de plus de vingt salariés aura ramené spontanément la durée effective du travail à 35 heures le 1er janvier 2000, ce qui revient d’une certaine manière à supposer le problème résolu d’avance. En outre, le coût budgétaire implicite pour 7 millions de salariés est de l’ordre de 60 milliards de francs. Les auteurs de la simulation considèrent cependant que les emplois supplémentaires induits allègeront d’à peu près autant les comptes publics (en raison de l’allègement de l’indemnisation du chômage et des cotisations sociales supplémentaires). Cette analyse, déjà présente dans les simulations qui, selon les mêmes raisonnements, laissaient espérer de très nombreux emplois de la loi Robien, nous semble peu vraisemblable.

De son côté, la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère de l’Emploi et de la Solidarité) a étudié plusieurs "variantes économiques élémentaires", c’est-à-dire l’effet de changements isolés d’un paramètre-clé de l’économie. Dans un deuxième temps, elle a combiné ces variantes entre elles en vue de rechercher l’impact de "variantes complexex". Elle a pour cela fixé ses hypothèses de travail puis utilisé deux modèles connus, gérés l’un par l’OFCE, l’autre par le service économétrique de la Banque de France.

Un jeu d’hypothèses favorables

Dans son scénario complexe, la DARES réunit plusieurs hypothèses : pour les entreprises concernées, la durée du temps de travail est réduite de 10 % (soit 6.7 % en moyenne pour l’ensemble des salariés) ; cette réduction du temps de travail donne lieu à des gains de productivité de 3.3 % ; le salaire horaire augmente de 3.3 % ; le taux de cotisation sociale est diminué de un point par heure de baisse de la durée du travail ; tous les effectifs concernés passent effectivement aux 35 heures. C’est le scénario qui a donné lieu à des articles de presse récents.

La DARES aboutit alors à la création nette de 700.000 emplois malgré un ralentissement de la croissance. Au-delà même des interrogations sur la validité des modèles et sur le fait que toutes les hypothèses favorables sont ici réunies, on peut noter que : 1) l’un des modèles utilisés conduit à un ralentissement de la croissance à long terme avec une aggravation du déficit public et une baisse du taux de marge des entreprises. La modération salariale y est forte à court terme. Le coût de la réduction du temps de travail est partagé entre les salariés, les entreprises et le déficit public ; 2) selon l’autre modèle, la réduction du temps de travail est en totalité payée par les salariés dont la compensation salariale est faible.

Nous souscrivons pour notre part à certaines des analyses présentées, et notamment aux conditions d’accompagnement de toute baisse de la durée du travail que la plupart des économistes ont déjà énoncées depuis longtemps et que ces travaux confirment : "la réduction de la durée du travail est indissociable d’une baisse des revenus des salariés en place" (OFCE, 1997), "l’impact sur l’emploi est maximal lorsque la réduction de la durée du travail se fait à coût inchangé pour l’entreprise..." (OFCE, 1998) et si "la production est suffisamment réorganisée, de manière à ce que la durée d’utilisation des équipements soit au minimum maintenue" (DARES, 1998), ce qui veut dire en clair qu’il faut désormais cesser de raisonner en durée hebdomadaire mais plutôt en termes de durée annuelle du travail.

Il est vrai aussi que la réduction du temps de travail devrait renforcer l’acceptabilité par les salariés en place d’une baisse de leur salaire et que le déplacement du partage salaire-emploi en faveur de l’emploi est un facteur positif pour l’emploi. Nous l’avons nous-même rappelé plusieurs fois et nous le confirmons.

Les travaux résumés ci-dessus ne sont cependant pas des prévisions, comme le souligne de façon très claire Jean-Paul Fitoussi (OFCD,1998) : "Confronté à cette radicale nouveauté, il n’est pas d’autre méthode pour le chercheur que de procéder par hypothèses, dont chacune est forcément simplificatrice et dont la conjugaison conduit à un résultat fragile". Le titre même retenu pour sa présentation "Utopies pour l’emploi" est sans équivoque.

Quant aux études de la DARES, elles indiquent clairement "Qu’il ne s’agit pas ici de prévoir ce qui va se passer, mais plutôt d’indiquer dans quelles conditions l’emploi peut être maximisé durablement". Les scénarios visent au demeurant "à mettre en évidence les hypothèses conduisant aux effets les plus favorables sur l’emploi sans être "calibrées" directement en fonction du projet de loi prochainement discuté au Parlement".

Il ne nous semble pas utile dans ces conditions d’ajouter de nouveaux chiffrages à ceux qui ont été publiés. Notre contribution se situera à d’autres niveaux. D’une part nous tenterons d’apprécier les enjeux et les risques associés au projet de loi actuel. D’autre part, nous chercherons à expliciter les aménagements du projet de loi qui pourraient limiter les risques à venir pour l’emploi.

Un projet de loi à risque

Nous n’examinerons pas ici des hypothèses théoriques mais plutôt les cheminements effectifs qui peuvent être envisagés dans l’hypothèse de travail où le projet de loi serait adopté tel qu’il est. On retient donc les données du projet de loi actuel : 1) la durée légale du travail est fixée à 35 heures (le 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés, le 1er janvier 2002 pour les entreprises de moins de 20 salariés) ; 2) une aide financière est accordée, sous résèrve d’une augmentation de l’emploi de 6 %, aux entreprises qui diminuent la durée effective du travail de 10 %, au cours des prochains trimestres ; 3) le régime futur des heures supplémentaires (majorations, repos compensateur obligatoire) reste inconnu jusqu’à l’automne 1999.

Deux périodes successives et très différentes s’ouvriraient alors devant nous. Avant le 1er janvier 2000 (ou 2002 selon le cas), la durée légale du travail resterait inchangée à 39 heures, mais un accord de baisse de la durée effective du travail ouvrirait droit à des aides (le taux est dégressif de 9.000 F à 5.000 F par emploi selon la date de l’accord).

Une question essentielle est d’évaluer le nombre des entreprises où de tels accords pourraient être conclus et les conséquences de ces accords non seulement sur les entreprises concernées mais aussi sur le reste de l’économie. L’exercice est incertain. Il avait fait l’objet de controverses au moment du débat sur la loi Robien. A l’époque, certains avaient retenu des travaux économétriques (notamment de l’OFCE) l’idée que 450 000 emplois pourraient être espérés grâce aux allègements de charges sociales conditionnelles. Nous avions à l’époque estimé sur la base d’évaluations tirées de l’observation microéconomique que "les calculs théoriques qui, en se fondant sur l’hypothèse d’un effectif théorique de personnes concernées, imaginent des effets sur l’emploi très élevés, sont éloignés de toute réalité envisageable" (Didier, 1997). L’expérience a totalement confirmé notre analyse.

Après dix-huit mois d’application, le bilan de la loi Robien serait de 17 000 emplois créés ou préservés grâce au dispositif (beaucoup moins en fait si l’on tient compte des "effets d’aubaine" classiques et des emplois supprimés par le financement de la mesure). Cela représente moins de un pour mille de l’emploi en France.

Certaines dispositions conduisent à penser que le nouveau dispositif aura des effets plus importants. D’une part le fait que la condition d’embauche est moins stricte (6 % et non pas 10 % de l’effectif, mais l’impact sera aussi plus faible). D’autre part le fait que la perspective prochaine de la diminution autoritaire de la durée légale peut inciter des entreprises à profiter des aides. A l’inverse, il faut évoquer le fait que les aides nouvelles sont inférieures aux aides anciennes et que les entreprises dont la situation était la plus proche d’un accord (le "coeur de la cible") ne peuvent plus désormais être concernées puisqu’elles ont déjà adopté une durée du travail de 35 heures.

Imaginons néanmoins, dans une hypothèse très favorable, que le nouveau dispositif ait un impact très supérieur à l’ancien. Il resterait encore le 1er janvier 2000 plusieurs millions d’emplois dont la durée effective du travail serait de l’ordre de 39 heures. Que se passera-t-il alors ?

Le régime des heures supplémentaires s’appliquera automatiquement. Il est facile d’en mesurer les conséquences sur la base des textes connus qui sont les textes actuels. Prenons à titre d’exemple le cas-type d’une entreprise dont les horaires sont de 39 heures au moment de la baisse de la durée légale. Dans ce cas, les conditions physiques de la production sont inchangées au moment de la baisse de la durée légale, mais 4 heures par semaine deviennent des heures supplémentaires auxquelles s’appliqueront les mécanismes des majorations et de repos compensateur obligatoire.

Le mécanisme des majorations conduit automatiquement à une augmentation des charges salariales de 2.6 %. En outre, les heures supplémentaires ouvrent droit, en plus du paiement de ces heures à un taux majoré, à un repos compensateur obligatoire. Ce repos compensateur obligatoire est de 50 % du temps du travail accompli au-delà de 42 heures par semaine (ramenées à 41 heures dans le projet de loi) pour les heures effectuées dans la limite d’un contingent annuel de 130 heures, et de 100 % du temps de travail accompli au-delà de 39 heures par semaine pour les heures effectuées au-delà du contingent, c’est-à-dire à partir de la 131e heure dans l’année. Si la durée légale passe à 35 heures et si la durée effective n’est pas par ailleurs modifiée, 4 heures par semaine deviennent des heures supplémentaires, ce qui conduit pour une année de 47 semaines à 4h X 47 = 188 heures supplémentaires.

Si le dispositif actuel est maintenu (contingent annuel à 130 heures, compensation à 50 % des heures effectuées au-delà de la 38e heure dans la limite du contingent, compensation à 100 % des heures effectuées au-delà des 35 heures au-delà du contingent annuel), le surcoût du repos compensateur s’ajouterait à celui des majorations au titre des heures supplémentaires (2.6 %). Au total, sauf changement de législation inconnu à l’heure actuelle, il en résulterait par le seul jeu des mécanismes de majoration et de compensation pour les entreprises dont l’horaire effectif serait de 39 heures un accroissement du coût de l’heure productive de 7.1 %. Si l’on retient à titre illustratif une élasticité emploi-coût du travail de - 0.5 %, le résultat de ce mécanisme pourraît être un recul significatif de l’emploi.

On soulignera ici que la France se trouvera en l’an 2000 dans une situation monétaire entièrement nouvelle avec l’adoption de l’euro dont la gestion lui échappera largement. Elle aura de ce fait renoncé à l’arme défensive de la dévaluation monétaire. Le risque de se placer très en marge de la situation générale des pays européens serait un recul économique relatif au sein de l’Europe.

Les dangers de l’incertitude

A ce risque, il convient d’ajouter les dangers d’une période d’incertitude de près de deux ans. Nous avons dans d’autres travaux (1) souligné les effets de l’incertitude sur les comportements des acteurs économiques. L’incertitude incite les agents rationnels à la prudence. Elle est donc défavorable à l’investissement, à l’emploi et à la croissance. Elle pourrait au demeurant constituer un obstacle à la conclusion des accords souhaités dans la mesure où les partenaires ne peuvent avoir aucune garantie qu’une loi ultérieure ne rendra pas ces accords caducs.

Pour apprécier les premières réactions des entreprises aux projets en discussion quelques exemples de terrain sont illustratifs : 1) une entreprise de services informatiques. L’entreprise ne parvient aujourd’hui ni à répondre à la demande ni à trouver les spécialistes nécessaires ; l’euro et le passage à l’an 2000 ouvrent la perspective de nouvelles commandes ; la décision pour l’instant est de ne rien faire et de voir venir ; 2) une entreprise de mécanique. L’entreprise est déjà en limite de productivité ; la décision est de geler les salaires, de limiter l’embauche et de ne prendre aucun risque en attendant d’y voir plus clair ; 3) Une entreprise d’emballage. L’entreprise décide d’investir plus pour ne pas avoir à embaucher et commence immédiatement à réduire lentement les effectifs ; 4) une entreprise moyenne familiale qui s’approvisionne et vend fréquemment à l’étranger. Elle évoque la perspective d’une délocalisation d’une partie de son activité (dans un pays européen où les coûts sont jugés plus compétitifs) ou celle d’un recours plus fréquent à la sous-traitance étrangère ; 5) une filiale directe d’un groupe étranger. Elle estime que le projet risque de conduire à terme à une délocalisation totale de son activité. La comparaison des coûts dans les différentes zones en Europe fait en effet partie de la stratégie permanente de la société-mère.

De façon générale, les PME qui travaillent sur le marché domestique (services, transports) sont les plus inquiètes des conséquences potentielles du projet. Plusieurs chefs d’entreprise intérrogés évoquent la possiblité de se séparer de personnels jugés "non indispensables" (tâches diverses d’assistance, secrétariat, accueil, surveillance, etc.) afin de pouvoir diminuer les coûts fixes et compenser la hausse des coûts.

Ces réactions ne sont pas exhaustives des situations possibles. Elles sont diverses et peut-être provisoires. Elles traduisent toutes une même loi économique classique. Face à la perspective d’une hausse exogène du coût unitaire du travail, l’objectif est d’en limiter l’impact. Il peut y avoir dans certains cas par nécessité des embauches, mais les incitations sont le plus souvent en sens opposé et conduisent plutôt à rechercher des gains de productivité. Ce qui est certain, c’est que les situations des entreprises sont très diverses et que toute norme uniforme s’avérera inadaptée aux diverses réalités.

Sortir au moins du non-dit et du flou

Il convient enfin, en se situant dans l’hypothèse de travail où la décision de diminution de la durée légale à 35 heures le 1er janvier 2000 serait confirmée, de faire apparaître clairement, en s’appuyant sur les conclusions les plus généralement admises aujourd’hui, les points sur lesquels une clarification aussi proche que possible serait au moins de nature à limiter les risques de destruction d’emplois (ou à renforcer les chances de création d’emplois, selon le pari que l’on fait sur le sens probable de l’évolution). Nous ne voyons en effet aucun avantage économique à prolonger la situation actuelle de "non-dit" et de "flou".

Le non-dit concerne la compensation salariale et l’annualisation. Il apparaît nettement que l’objectif de maintien du coût salarial unitaire nécessiterait souvent en cas de baisse de la durée du travail un recul nominal des salaires mensuels des salariés en place. Il convient donc d’être clair sur ce point.

L’analyse économique rejoint aussi l’observation empirique sur le fait que les gains de productivité nécessaires pour absorber les surcoûts ne peuvent être dégagés que dans le contexte d’une moindre contrainte horaire hebdomadaire et non pas d’une contrainte renforcée. La durée hebdomadaire n’est plus - naturellement dans certaines limites - un concept adapté à l’économie actuelle, a fortiori à celle de l’an 2000. Il faut non seulement accepter, mais explicitement rechercher au plan contractuel comme au plan réglementaire un décompte annuel du temps de travail. L’absence d’une telle référence constitue une grave lacune du projet de loi.

Le flou porte sur ce que sera l’environnement institutionnel dans dix-huit mois. Ce flou ne sera pas favorable à la négociation sociale. Il incitera chacun à la prudence. Il serait donc souhaitable de décider dès maintenant les modifications institutionnelles qui permettraient d’éviter ou de limiter un tel risque. Des décisions explicites et rapides devraient porter notamment :

— sur les modalités de la fixation du SMIC le 1er janvier 2000. Un choc de coût salarial pour les salariés les moins qualifiés serait très défavorable à l’emploi, notamment l’emploi des jeunes. Le maintien du salaire mensuel des personnes payées au SMIC dont l’horaire de travail serait ramené de 39 heures à 35 heures impliquerait une hausse du SMIC de 11.4 %. Cette hausse appliquée à tous les salariés rémunérés au SMIC conduirait à une augmentation du coût du travail équivalente pour les salariés à temps partiel, et supérieure (plus de 18 %) pour ceux dont l’horaire resterait de 39 heures. Il est nécessaire de préciser dès maintenant comment ces conséquences seront évitées ;

— sur le coût des heures supplémentaires. L’exposé des motifs du projet de loi indique que les taux de majoration des heures supplémentaires seront égaux ou inférieurs aux taux actuels. Il n’y a aucun avantage économique à maintenir le flou sur des dispositions aussi cruciales que ce que sera la formation des coûts dans les toutes prochaines années. Un abaissement des coefficients de majoration permettraient de limiter le risque de choc sur le coût du travail, comme d’ailleurs de limiter l’incitation pour les travailleurs à effectuer des heures supplémentaires ;

— sur les modalités de calcul actuelles du repos compensateur obligatoire. Celles-ci ne pourront pas être maintenues en l’état sans risques graves au-delà du 1er janvier 2000. Une clarification rapide et complète du dispositif futur est nécessaire.

Affecter une partie du potentiel de croissance à réduire le temps de travail est une tendance profonde du développement économique. Le mouvement a été momentanément interrompu en France après l’expérience uniforme et centralisée de 1982. Il a repris dans les années récentes. La France est donc dans le mouvement, et elle est dans la moyenne des pays comparables.

La seule question en débat est l’impact qu’aurait sur l’emploi la décision de diminuer fortement et de façon très brutale la durée légale du travail. Pour étudier cette question, les simulations économétriques présentent un intérêt certain. Elles suscitent la réflexion, mais aussi beaucoup d’interrogations. Les divergences entre les modèles, les difficultés à expliciter le lien entre la réalité et les diverses hypothèses simplificatrices retenues dans les modèles, l’inaptitude des modèles à anticiper une situation radicalement nouvelle invitent à la plus extrême prudence. Il reste que, malgré toutes ces limites, les simulations confirment que toute baisse de la durée effective du travail devrait s’accompagner d’une baisse des salaires des personnes en place.

Quant aux gains de productivité horaire, leur incidence est contradictoire. Des gains plus élevés permettent d’absorber des hausses de coût du travail mais sont défavorables à l’emploi (c’est "l’enrichissement de la croissance en emplois") mais ils risquent alors de déséquilibrer les entreprises et de nuire à leur compétitivité.

Les simulations montrent aussi que pour aboutir à des équilibres macroéconomiques satisfaisants, il s’avère nécessaire de combiner toutes les hypothèses favorables. L’approche suggère que de telles situations sont théoriquement possibles. Elles n’indique rien sur leur probabilité ni sur les risques qui pourraient découler d’hypothèses moins favorables. Le même débat avait lieu au moment de la loi Robien. Notre approche fondée sur une analyse microéconomique et une observation directe des situations d’entreprises nous avait incités à une extrême prudence sur l’impact à attendre de cette loi. Les faits sont là et confirment sans équivoque le caractère théorique des approches trop globales. Une démarche analogue sur la question des 35 heures nous conduit aujourd’hui à la plus grande résèrve sur l’impact qu’une baisse de la durée légale du travail peut avoir sur l’emploi. Certes, rien ne permet d’exclure que les comportements économiques se trouvent brutalement bouleversés en dix-huit mois, mais ce n’est pas, et de loin, l’hypothèse la plus probable. Si tel n’était pas le cas, les risques seraient alors très clairement un affaiblissement de notre système productif et une nouvelle contraction de l’emploi.

Notre société hésite en permanence entre les deux moyens, les seuls moyens à vrai dire, de réduire le chômage. Partager autrement les revenus et l’emploi, ou créer les conditions d’un plus grand dynamisme de notre économie. Il est toujours possible d’imaginer qu’une réduction "forcée" de la durée du travail puisse aboutir à un partage différent si beaucoup de conditions favorables se trouvaient réunies. Mais l’analyse économique ne permet pas d’affirmer que c’est là une hypothèse probable. Elle suggère en revanche le risque d’effets négatifs sur la croissance de notre économie. Il y aurait beaucoup d’avantages à recentrer le débat économique en France sur les vrais enjeux de l’emploi, ceux du dynamisme et de l’esprit d’entreprise.

Michel Didier

Références bibliographiques
DARES, "L’impact macroéconomique d’une politique de réduction de la durée du travail", Premières informations, 98-01.
Didier M., "Quels effets peut-on attendre de la loi Robien ?", Revue de Rexecode, n°54, 1er trimestre 1997.
Lettre de l’OFCE, n°158, vendredi 31 janvier 1997.
Lettre de l’OFCE, n°171, mercredi 21 janvier 1998.

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