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Conclusion : l’Eglise de la Gauche

mardi 14 juillet 2009

« 1793 », nous l’avons vu, est un millénarisme. Cette religion de substitution, Nemo l’appelle la « Gauche » avec une majuscule, en prenant le mot non au sens parlementaire ou partisan, mais précisément en son sens spirituel – une mystique qui ne se discute pas. Pour son malheur, la France a donné à la religion de la Gauche l’Eglise dont elle avait besoin : c’est l’Education nationale.

Les intellectuels de Gauche ne sont pas des isolés et sont bien rarement des penseurs originaux. Ce sont plutôt les estafettes d’une armée permanente, constituée des enseignants fonctionnaires, auxquels il faut ajouter nombre d’employés des organismes publics de la culture. A contrario, privée d’un accès normal à l’école et à l’Université, la famille idéologique libérale n’a plus jamais eu d’assise institutionnelle lui permettant de vivre et de rayonner. Cela s’est déroulé le long d’une suite de décisions malencontreuses qui se sont enchaînées en cascade selon une path dependance fatale. Aujourd’hui, la République a renoncé purement et simplement à toute idée de gouverner l’Education nationale. Bien que nominalement public et fonctionnant avec l’argent des citoyens-contribuables, c’est une entreprise privée qui s’autogère, gouvernée par les seuls chefs de l’Eglise de la Gauche, francs-maçons et syndicalistes. Simultanément, l’Etat rend à la nouvelle Eglise le signalé service d’empêcher la société civile de faire naître et vivre des écoles concurrentes. Or il est un fait que le pluralisme scolaire existe sous une forme ou une autre dans toutes les démocraties autres que la France jacobine.

L’appareil social massif fonctionne à maints égards dans la société française comme l’Eglise fonctionnait dans les sociétés européennes traditionnelles [1]. La vie de 1 250 000 personnes et de leur famille dépend de l’institution. Les syndicats ont le pouvoir de tuer dans l’œuf toute politique qui serait voulue par les représentants de la souveraineté nationale, mais qui ne leur agréerait pas. Cette Eglise se recrute elle-même ; non seulement elle forme ses professeurs, mais elle contrôle aussi, depuis les accords Lang-Cloupet, la formation des professeurs du privé. Elle bénéficie des statuts créés en 1946 par Maurice Thorez, ainsi que des franchises universitaires, qui rendent tout professeur titulaire inamovible.

Dès lors qu’elle est une institution monopolistique, elle dispose d’un pouvoir d’uniformisation plus grand que celui qu’a jamais possédé l’Eglise de Rome qui n’était pas l’employeur de tous ses clercs. Cette institution est aussi marquée par son monocolorisme. Presque toute trace des anciennes sagesses, des autres philosophies politiques, des autres manières de voir le monde, ont été progressivement éliminées. D’autres visions sont systématiquement écartées, refoulées, tenues soigneusement en marge, contraintes de se réfugier dans l’underground, de communiquer par les samizdats (quelques rares journaux, des réseaux associatifs, et – ce qui est d’ailleurs le grand avenir – internet). Nous vivons une véritable situation d’oppression.

Ce système monopolistique n’existe dans aucun autre pays démocratique. Il tient en tutelle les pouvoirs séculiers. Il contrôle l’Etat sub rationae peccati, c’est-à-dire en se faisant juge de l’orthodoxie ou de la déviance des hommes politiques. Certes, il existe en France des hommes politiques de droite et du centre. Mais ils n’ont le droit d’exister dans le débat public que s’ils restent spirituellement de Gauche.

L’Eglise de la Gauche s’est arrogé le droit de délier les citoyens français du devoir d’obéir à la loi. Elle s’est même donné le droit de dispenser les citoyens français de tout devoir d’obéir à des décisions du gouvernement ou à des lois du Parlement qu’elle juge impies, et d’absoudre n’importe quel citoyen qui, pour lutter contre ces décisions et ces lois, use de moyens violents. C’est l’explication de fond que nous recherchions de la prévalence des mentalités « 1793 » dans notre pays.

Tout vœu du peuple qui ne correspond pas aux canons moraux de l’Eglise est repoussé comme « populiste ». On ne veut pas envisager l’idée que les membres du gouvernement ou le président de la République soient des hommes mauvais ; ils n’oseront donc pas s’élever contre le Bien. C’est exactement le type d’influence cléricale que dénonçaient les anticléricaux rationnels du XIXe siècle. C’est, au sens propre du terme, du cléricalisme.

Le ministre de l’Education nationale, en particulier, ne doit rien toucher à l’institution dont il reçoit pour quelques mois la direction nominale. Les gouvernements de la République font comme l’empereur germanique Henri IV ; ils vont tous les jours à Canossa et baisent la mule des francs-macs.

L’Eglise millénariste a décrété que l’école avait pour fonction non d’éduquer et d’instruire, mais de « réduire les inégalités ». Outre qu’elle a contribué à aggraver en réalité les inégalités sociales, elle n’a cessé de faire reculer la qualité des études [2].

Nous sommes, nous, dans la situation où était l’Empire ottoman à la fin du XIXe siècle, paralysé intellectuellement et socialement par ses oulémas, en passe d’être submergé par des civilisations supérieures.

Beaucoup de Français croient en toute bonne foi que ce qu’ils ont reçu de « 1789 », ils le doivent à « 1793 ». C’est donc manifestement l’éducation qu’ils ont reçue qui fait problème. Nous devons faire œuvre d’anticléricalisme rationnel, et songer à mettre d’urgence en chantier une loi de séparation de l’Eglise de la Gauche et de l’Etat.


- Philippe Nemo, Les Deux R


[1Tel était le plan explicite de Léon Bourgeois dans L’Education de la démocratie française. Discours prononcés de 1890 à 1896, Edouard Cornély et Cie, éditeurs, 1896.

[2Cf. Philippe Nemo, Pourquoi ont-ils tué Jules Ferry ?, Grasset, 1991 ; Le Chaos pédagogique, Albin Michel, 1993.

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