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Et Dieu créa l’Amérique

un extrait de la Révolution Américaine, de Bernard Cottret

mercredi 23 septembre 2009

« Au début, le monde était l’Amérique »

J. Locke, 1689 [1].

C’est un livre sur le bonheur. Et sur la forme républicaine de gouvernement. Voici plus de deux siècles que la jeune nation américaine, rompant ses liens tutélaires avec le passé, entamait, sous une forme volontiers métaphysique, son vibrant hymne à la vie profane [2]. « Tous les hommes sont créés égaux », précisait la déclaration d’Indépendance de 1776. Ils possèdent, dès leur naissance, « certains droits inaliénables ». Les gouvernements sont là pour les leur garantir, à commencer par les premiers d’entre eux, « la vie, la liberté et la quête du bonheur », auxquels l’on adjoindra sans hésiter la « sécurité ».

Le respect de ces principes, enchaînait-on, est la seule justification des gouvernements ; s’ils venaient à faillir, les peuples retrouveraient le droit de les dissoudre : « Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l’organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui assurer la sécurité et le bonheur ».

Jean-Jacques Brissot, le futur conventionnel, exhortait dès 1787 ses compatriotes français à s’intéresser à un pays dont le destin lui paraissait prometteur « pour le bonheur de la France ». L’on trouvait sous sa plume un double manifeste pour la vertu (morale) et pour le crédit (financier). Le but de Brissot était nettement d’encourager les Français à « renoncer à leur langueur pour le commerce de l’Amérique » en exportant outre-Atlantique une partie de leur production [3]. Charité bien ordonnée commence par soi-même, et l’amour de l’Amérique, devenue l’une des patrie du républicanisme, était équilibré par un souci que l’on dirait très moderne d’investissement. Chaque fois que l’on parle de la conception américaine du bonheur, c’est pour délivrer la vie économique de ses entraves. Le plaidoyer de Brissot possède déjà toute la rhétorique empruntée de la Lettre aux actionnaires de quelque multinationale de notre temps.

C’est que la France et les Etats-Unis ont entretenu depuis plus de deux siècles des relations ambivalentes, où la cordialité le dispute sans cesse à la méfiance [4]. Maintenant que l’incantation politique ou la critique de l’impérialisme économique se sont largement estompées, ce malaise revêt avant tout un aspect culturel ; du moins s’exprime-t-il périodiquement, et avec une surprenante verdeur, en matière culinaire et artistique, chaque fois qu’une « exception française » se sent menacée. La présence des Mac Donald’s sur notre sol, la réussite de Disneyland, le succès au box-office du cinéma américain ou la diffusion de mots anglo-américains font périodiquement l’objet de manifestations de rejet qui étonnent nos partenaires européens. Et il est difficile de ne pas percevoir, dans l’actuelle défiance envers la mondialisation, la reprise de mots d’ordre plus anciens contre les Etats-Unis [5].

Avec une incontestable différence d’échelle, la France et les Etats-Unis souffrent beaucoup plus en fait de la parenté profonde de leurs cultures que de leurs différences.

Du reste, on ne comprendra rien à cette « exception française », tant que l’on ne l’aura pas confrontée à l’« exceptionnalisme américain [6] ». La France et les Etats-Unis se sont sentis investis dans le courant de leur histoire d’une mission libératrice qui amenait, par exemple, les artisans de la morale républicaine à enseigner que tout homme avait « deux patries, la sienne et la France » - quitte à imposer d’improbables ancêtres gaulois aux enfants africains [7]. C’est du moins ce qu’apprenaient, il y a un siècle, les petits Français de l’école de Jules Ferry. Les Américains pour leur part donnent à leur présence dans le monde un caractère volontiers messianique, plus encore que strictement colonial ; de façon certes séculière, ils reproduisent en permanence l’archétype biblique du peuple élu. Récusant les visions matérialistes de l’histoire, cette conception essentiellement idéaliste met à jour un credo américain fondé sur la liberté, l’égalité, l’individualisme, le populisme et le laissez faire [8]. Le rejet du socialisme sous toutes ses formes ne serait qu’une expression parmi d’autres de cette croyance américaine en un dogme du progrès moral et matériel qui aurait assuré aux Etats-Unis leur prodigieuse réussite [9].

De te fabula narratur : c’est l’histoire de chacun qui est ici contée. Inlassablement depuis trois siècles, les Américains entretiennent collectivement la fiction messianique que la lumière des derniers temps proviendra du Nouveau Monde, appelé à régénérer l’ancien. Cette prophétie trouve un début d’expression une ou deux générations avant la Révolution américaine. L’on demandait traditionnellement au continent découvert par Christophe Colomb un témoignage sur le passé préhistorique de l’humanité ; il se chargea dans le courant du XVIIIe siècle d’une valeur prémonitoire. La nostalgie devint à son tour prophétique [10]. Jean Delumeau a fort bien analysé, dans sa belle Histoire du paradis, le rôle respectif de l’Amérique [11]. Avec une incontestable différence d’échelle, la France et les Etats-Unis souffrent beaucoup plus en fait de la parenté profonde de leurs cultures que de leurs différences. Les deux nations, rompant leurs amarres tutélaires, ont tendance à se présenter au monde comme universelles. Et universellement novatrices, ou rédemptrices [12]. Tout en insistant sur leur caractère d’exception [13].

Comment prétendre à la fois à l’universalité et à l’exception ? Quels peuvent être le caractère universel de l’exception, et le caractère exceptionnel de l’universalité ? Il faut être américain, ou français, pour le comprendre. La rivalité des cultures s’inscrit sur le fonds commun d’une philosophie politique, directement issue des Lumières [14]. L’idéalisme rime ici avec la raison. La France républicaine et les Etats-Unis d’Amérique admettent comme acte fondateur une double révolution, qui se produisit en 1776 et en 1789, de part et d’autre de l’Atlantique. Les hommes de 1776 comme ceux de 1789 avaient à peu près les mêmes lectures, Locke et Montesquieu, Grotius, Burlamaqui, Bolingbroke et Beccaria [15]. Ils avaient sucé avec le lait de leurs mères les mêmes références antiques, Sparte, Athènes et Rome... auxquelles il fallait adjoindre un héritage biblique, plus fort qu’on ne le croit [16]. Il suffit pour s’en convaincre d’observer que nos Droits de l’homme et du citoyen apparaissent généralement sur des tables de la Loi, qui ne sont pas sans évoquer les « Dix Paroles » que l’Eternel adresse, au travers de Moïse, à l’ensemble de l’humanité... Cinq ans avant la Révolution française, Mirabeau saluait dans les événements d’Amérique « la révolution la plus étonnante, la seule peut-être qu’avoue la philosophie [17] ». Étonnante convergence, quand on y songe, que celle de la raison et de la révolution, de la sagesse et de l’explosion politique. Dans son essai célèbre, L’Ancien Régime et la Révolution, paru en 1856, Alexis de Tocqueville reconnaissait la parenté de la philosophie française des Lumières et de la guerre d’Indépendance américaine : « On a souvent attribué notre révolution à celle d’Amérique : celle-ci eut en effet beaucoup d’influence sur la Révolution française, mais elle la dut moins à ce qu’on fit alors aux Etats-Unis qu’à ce qu’on pensait au même moment en France ». Il notait la surprenante proximité des deux pays : « Tandis que dans le reste de l’Europe la révolution d’Amérique n’était encore qu’un fait nouveau et singulier, chez nous elle rendait seulement plus sensible et plus frappant ce qu’on croyait connaître déjà. Là elle étonnait, ici elle achevait de convaincre ». Puis cette phrase décisive : « Les Américains semblaient ne faire qu’exécuter ce que nos écrivains avaient conçu ; ils donnaient la substance de la réalité à ce que nous étions en train de rêver » [18]. Ainsi, selon Tocqueville, il ne s’agit pas tant de prétendre naïvement que la Révolution américaine a influencé la Révolution française que d’admettre l’existence d’un terreau philosophique commun aux deux événements. Les deux Révolutions sont, selon lui, filles des Lumières.

« L’esprit des philosophes et celui des futurs insurgés d’Europe et d’Amérique constituent des facettes diverses d’un même monde intellectuel », écrivait, naguère encore, un spécialiste de la civilisation atlantique. Comment ne pas interpréter, à ce titre, la Révolution américaine comme une « révolte contre l’Ancien Régime dans ses formes coloniales [19] » ? Il semble bien que « des deux côtés de l’Océan, l’histoire avance dans le même sens ». Il existerait entre la Révolution américaine et la Révolution française une différence notable. En Amérique du Nord, la révolution est plus politique que sociale, alors qu’en France la révolution ne provoque pas seulement la « chute de l’ancien régime politique, mais change aussi l’ordonnance de la société ». Est-ce qu’en France la leçon de la philosophie des Lumières aurait été retenue dans sa totalité ? Ou que les colonies anglo-américaines étaient déjà « très largement, de par leur origine et leur nature, des sociétés bourgeoises avant même de se détacher de l’Angleterre, alors que la société française, quel qu’ait été son rôle dans la formation et la diffusion des idées nouvelles, était encore soumise au régime des ordres privilégiés [20] » ? La Révolution américaine n’a pas eu besoin de construire un monde nouveau sur les ruines de l’ancien. Contrairement à la Révolution française, elle ne s’en prend pas à un système qualifié de « féodal », et ne met pas un terme aux privilèges d’une aristocratie [21].

Un historien défendait, de façon récente, le caractère comparable de l’histoire de la France et de l’Amérique, qualifiées de « républiques soeurs ». Il existe certes des différences, à commencer par la passion bien française de la division qui a empêché que le républicanisme assume jusqu’au bout son caractère consensuel [22]. A l’inverse, la réussite américaine tient bien à la réconciliation de l’individualisme et du sens communautaire.

Les Français, depuis Tocqueville, ont eu bien des raisons d’admirer ces libéraux que l’on dit sauvages. Au nombre de ces motifs, la pérennité de la constitution fédérale : « Une seule constitution en deux siècles, c’est admirable pour nous qui en avons dévoré quatorze, sans oublier d’innombrables amendements et actes additionnels pendant la même période », s’exclamait à juste titre Robert Badinter [23].

L’opposition courtoise entre France et Amérique, si essentielle pour comprendre les soubresauts du présent, succède en fait à un autre couple antagonique, laissé dans l’ombre. Nous voulons parler de l’interminable affrontement avec la Grande-Bretagne, certes bien atténué et comme en sommeil depuis deux siècles. Mais l’anglophobie, tout comme l’américanophobie, se nourrissent du même antiprotestantisme, prompt à confondre le libre examen, le capitalisme et le libéralisme économique - avant de tourner la même vindicte contre les Juifs et les francs-maçons [24]. Les lieux communs ont eux aussi une longue histoire, et les stéréotypes nationaux, qui classent les Français au rang de grenouilles, frogs, en Grande-Bretagne, méritent à leur tour d’être étudiés comme d’extraordinaires témoignages de l’évolution des mentalités [25].

Les Etats-Unis ont décidément une histoire. Frederick Jackson Turner, spécialiste de la frontière, avait prétendu que le « facteur temps était insignifiant en contexte américain, comparé au facteur espace » [26]. Il ne faudrait pas que la passion française pour la généralisation, notée par Tocqueville, se transforme en penchant simplificateur [27]. Il est vain de prétendre que l’Amérique ne connaîtrait ni « passé », ni « vérité fondatrice », au profit d’une « actualité perpétuelle » [28]. La société américaine, a l’inverse, nous paraît saturée d’histoire [29]. On a justement noté que les Américains, ou du moins certains d’entre eux, possèdent une « double mémoire », destinée à préserver le « lien avec le pays d’origine », tout en scellant « la présence sur la terre d’accueil » [30]. A leur histoire propre, les Américains se sont adjoint par procuration l’histoire de l’humanité tout entière. La world history connaît dans les universités outre-Atlantique une réussite dont on chercherait en vain l’équivalent en France. L’Amérique est aussi un miroir tendu à la civilisation européenne ; nous y lisons la mutation prévisible de notre présent, comme l’invention, sans cesse inachevée, du passé. Le « modèle américain » est, comme chez nous la République, un « produit du siècle des Lumières », qui puise dans le même fonds commun politique et philosophique qu’il s’agit ici d’exhumer [31]. Les Etats-Unis, désormais, sont un vieux pays.


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[1J. Locke, Two Treatises of Government, Londres, JM Dent, 1989, p. 140. Sur cette fiction de « recréation du monde » et de « rupture avec l’histoire », voir Marienstras, Les Mythes fondateurs de la nation américaine, Bruxelles, éditions Complexe, 1992, p. 37.

[2M. Fumaroli décrit bien les Américains comme des « fils du XVIIIe siècle », dont ils seraient devenus « l’immense lieu de mémoire ». (Quand l’Empire parlait français, Paris, De Fallois, 2001, p. 9.

[3JP Brissot, E Clavière, De la France et des Etats-Unis (1787), Paris, CTHS, 1996, p. V. Quant à l’abbée Sieyès, il devait s’exclamer en juillet 1789 : « L’objet de l’union sociale et le bonheur des associés ». (Orateurs de la Révolution française, F. Furet, R. Halévi, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1989, I, p. 1008.

[4Sur l’histoire de la France et des Etats-Unis, on consultera avec profit J.B. Duroselle, La France et les Etats-Unis des origines à nos jours, Paris, Seuil, 1976 ; D. Echevarria, Mirage in the West, Princeton, NJ, Princeton University Press, 1956 ; R. Rémond, Les Etats-Unis devant l’opinion française, 1815-1852, Paris, A. Colin, 1962 ; J. Portes, Une fascination réticente, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1990 ; A. Kaspi, Le Temps des Américains. 1917-1918, Paris, Publications de la Sorbonne, 1976. On lira enfin les analyses très fines de J.F. Revel, L’Obsession anti-américaine, Paris, Plon, 2002.

[5Les organismes génétiquement modifiés ont un temps remplacé la guerre du Viet-Nâm dans l’indignation publique ; et l’agriculture biologique devient parfois la noble cause de demain, aux côtés du fromage au lait cru et du civet de lièvre

[6Cet exceptionnalisme américain, en garantissant la singularité et la supériorité de l’expérience américaine, a toujours gardé un caractère universaliste, lui évitant les « dérives totalitaires ». Il s’accommode fort bien de l’idée d’un modèle américain, imposé aux autres nations (J Heffer, F Weil (ed), Chantiers d’histoire américaine, Paris, Berlin, 1994, Introduction, pp. 20-21). Quant à « l’exception française », la formule est utilisée par M. Vovelle dans son introduction aux actes du colloque consacré en 1992 au bicentenaire de la République. Prétendant à l’universalité, la forme républicaine n’aura-t-elle revêtu, du moins dans une Europe encore fortement monarchique à la fin du XXe siècle, qu’un caractère d’exception ? (Révolution et République. L’exception française, Paris, Kimé, 1994, p. 9 sq.)

[7P. Higonnet attribue du reste ce dicton à T. Jefferson (Préface à JP Dormois, SP Newman (ed), Vue d’Amérique, Paris, France-Empire, 1989, p. 10. Il arrive également que l’on présente Goethe comme l’auteur de la formule. L’idée se trouve en tout cas dans l’Autobiographie de Jefferson, ainsi que nous le confirme J. Pothier : « Interrogez (...) un homme qui a voyagé, à quelque nation qu’il appartienne, et demandez-lui dans quelle contrée de la terre il préférerait passer sa vie, il vous répondra : Dans ma patrie (...). Et en second lieu, quel serait votre choix ? - La France » (Autobiography (1821), Writings, New York, The Library of America, 1984, p. 98)

[8Parmi les théoriciens de l’exceptionnalisme américain, l’on citera en premier lieu SM Lipset, auteur de American Exceptionnalism : A Double-Edged Sword, New York, WW Norton, 1996. Nés d’une révolution, comme le souligne l’auteur, les Etats-Unis exigent un engagement idéologique fort de leur citoyens, fondé sur un libéralisme économique, distinct du conservatisme, du communautarisme collectiviste, et du mercantilisme. Les Etats-Unis sont sans doute, selon lui, le seul pays développé économiquement qui ait contenu efficacement la montée durable du radicalisme socialiste ou ouvrier. Cet exceptionnalisme ne concerne du reste pas le Canada, plus attaché selon l’auteur à la déférence sociale. On lira ici l’excellent dossier de l’AHR 102 (1997), pp. 748-774. D. Ross, enfin, instruit le procès de cet exceptionnalisme dans les sciences sociales. Contrairement aux Européens qui adoptent un mode de pensée historiciste, les Américains du début du XIXe siècle auraient été convaincus de leur caractère exceptionnel, en opposant leur Révolution, qui avait réussi, à la Révolution française, qui aurait échoué (The Origins of American Social Science, New York, Cambridge University Press, 1991, p. 22 sq.

[9La question avait déjà été habilement posée par la sociologie allemande d’avant 1914 lorsque W. Sombart avait écrit son stimulant essai Pourquoi le socialisme n’existe-t-il pas aux Etats-Unis ?, Paris, PUF, 1992 (la version allemande remontait à 1904). Il est vrai que Sombart concluait, de façon un peu prématurée, que tous les éléments de son épanouissement étaient déjà réunis. Quant à Sombart (1863-1941), il devait finir par flirter avec le national-socialisme à la fin de sa vie.

[10J. Delumeau, Mille ans de bonheur, Paris, Fayard, 1995, p. 9 sq.

[11Ibid, p. 275 sq.

[12J. Delumeau cite également cette phrase lourde de sens de Chateaubriand : « l’Eternel révéla à son fils bien-aimé ses desseins sur l’Amérique : il préparait au genre humain dans cette partie du monde une rénovation d’existence » (op. cit., p. 287)

[13On se reportera ici à l’essai stimulant de P. Bourdieu, « Deux impérialismes de l’universel », L’Amérique des Français (éd), C. Fauré, T. Bishop, Paris, F. Bourin, 1992, pp. 149-155.

[14F. Furet poursuit cette dissociation de l’universel et du singulier. La culture républicaine française, par nature amie de l’universalité, est aux antipodes du fascisme : « Le fascisme naît comme une réaction du particulier contre l’universel ; du peuple contre la classe ; du national contre l’international » (Le Passé d’une illusion, Paris, Robert Laffont / Calmann-Lévy, 1995, p. 37)

[15Les auteurs les plus cités semblent avoir été, outre saint Paul, Montesquieu et Blackstone, suivis de Locke, Hume, Plutarque, Beccaria, Pufendorf, Cicéron, Hobbes, Grotius, Bacon, Bolingbroke, etc. (liste non limitative). Rousseau apparaît en assez faible position, talonné par Voltaire et d’autres (DS Lutz, « The Relative Importance of European Writers on Late Eighteenth-Century American Political Thought », American Political Science Review, 189, 1984, pp. 189-197.

[16Sur les références à l’Antiquité, on consultera en particulier la somme de PA Rahe, Republics Ancient and Modern : Classical Republicanism and the American Revolution, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1992.

[17HG Riquetti, comte de Mirabeau, Considérations sur l’ordre de Cincinnatus, Londres, J Johnson, 1784, p. 1

[18A. de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, 1856, Paris, Gallimard, Idées, 1967, p. 263

[19C. Verlinden, Les Origines de la civilisation atlantique, Neuchâtel, La Baconnière, Paris, A. Michel, 1966, p. 415

[20ibid, p. 428. L’auteur précise du reste un peu plus loin que les révolutions d’Amérique latine demeurent plus proches de la Révolution française que de la Révolution américaine (p. 430). Sur cette proximité de la France et de l’Amérique latine, voir en particulier l’ouvrage collectif de J. Mendelson (ed), L’Amérique latine et la Révolution française, Paris, La Découverte, Le Monde, 1989.

[21L. Hartz, Histoire de la pensée libérale aux Etats-Unis, Paris, Economica, 1990, p. 19-20. La version américaine de l’ouvrage, The Liberal Tradition in America, New York, 1955.

[22P.L.R. Higonnet, Sister Republics, Cambridge, Mass, Harvard University Press, 1988, p. 278. On consultera également ici avec profit la magnifique édition française de plusieurs documents, soigneusement présentés, permettant d’évaluer l’évolution de l’opinion américaine face à la Révolution française dès 1789 : P. Dormois, SP. Newman (ed), Vue d’Amérique, op. cit.

[23R. Badinter, « Modèles américains des institutions vus par les constituants français », L’Amérique des Français, op. cit, pp. 18-19. Même remarque chez G. Cognac, « The French Revolution and American Constitutionnalism », Three Beginnings : Revolution Rights and the Liberal State (ed), S.F. Englehart, JA Moore Jr, New York, Peter Lang, 1994, p. 33

[24J. Baubérot, V. Zuber, Une haine oubliée : l’antiprotestantisme avant le pacte laïque. 1870-1905, Paris, A. Michel, 2000.

[25« La vieille amitié franco-américaine, scellée dans le sang par des frères d’armes lors de la guerre d’indépendance, n’est pas une amitié naturelle. Elle est le produit des circonstances, la manifestation exemplaire du sens politique des élites révolutionnaires américaines. La survie des treize républiques américaines exigeait cet acte suprême de Realpolitik : une alliance avec une monarchie papiste. Qu’on ne se fasse pas d’illusion : les Américains et les Français n’étaient pas, au départ, faits pour s’entendre. Pour un protestant typique du Massachusetts ou de Caroline du Sud au début du XVIIIe siècle, la France est un pays collectivement et viscéralement antiaméricain ; elle incarne la tyrannie absolutiste, le papisme, la superstition et l’intolérance religieuse. Ennemie héréditaire de l’Angleterre, la France est nécessairement l’ennemie des colons établis dans le Nouveau Monde. Et c’est contre cet ennemi, on l’a trop oublié, que les futurs héros de la guerre d’Indépendance, comme George Washington, apprendront le métier des armes. » (D. Lacorne, « L’écartèlement de "l’homme atlantique" », L’Amérique des Français, op. cit., p. 169

[26FJ Turner, The Significance of Sections in American History, New York, H. Holt, 1932, p. 6.

[27Pour la majorité des observateurs depuis deux siècles, l’Amérique et la France ont des histoires, sinon parallèles, du moins complémentaires. Cela n’échappait pas à Tocqueville, en particulier lorsqu’il rédigeait le second tome de son célèbre essai De la démocratie en Amérique (1835-1840). Il notait le penchant qu’avaient en commun les Français et les Américains pour les idées générales - contrairement aux Britanniques. Et reliait le phénomène à l’existence d’une culture démocratique commune aux deux peuples. La démocratie conduit à s’interroger sur l’homme en général là où l’esprit aristocratique ne connaît que des hommes dans leur irréductible diversité : « Les Américains font beaucoup plus souvent usage que les Anglais des idées générales et s’y complaisent bien davantage : cela paraît fort singulier au premier abord, si l’on considère que ces deux peuples ont une même origine, qu’ils ont vécu pendant des siècles sous les mêmes lois et qu’ils se communiquent encore sans cesse leurs opinions et leurs moeurs. (...) On dirait que chez l’Anglais l’esprit humain ne s’arrache qu’avec regret et avec douleur à la contemplation des faits particuliers, pour remonter par là jusqu’aux causes, et qu’il ne généralise qu’en dépit de lui-même. » (...) Ceux qui vivent dans ces sociétés aristocratiques ne conçoivent donc jamais d’idées fort générales relativement à eux-mêmes, et cela suffit pour leur donner une défiance habituelle de ces idées et un dégoût instinctif pour elles. L’homme qui habite les pays démocratiques ne découvre, au contraire, près de lui, que des êtres à peu près pareils ; il ne peut donc songer à une partie quelconque de l’espèce humaine, que sa pensée ne s’agrandisse et ne se dilate jusqu’à embrasser l’ensemble. Toutes les vérités qui sont applicables à lui-même lui paraissent s’appliquer également ou de la même manière à chacun de ses concitoyens et de ses semblables. » Tocqueville revient même sur ce point à propos de la langue : « J’ai montré précédemment que les peuples démocratiques avaient le goût et souvent la passion des idées générales : cela tient à des qualités et des défauts qui leur sont propres. Cet amour des idées générales se manifeste, dans les langues démocratiques, par le continuel usage des termes génériques et des mots abstraits, et par la manière dont on les emploie. C’est le grand mérite et la grande faiblesse de ces langues ». (A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Gallimard, 1986, II, pp. 27-29). Sans doute est-ce aussi là un écho à l’opposition philosophique des nominalistes - qui se défient des généralités - et des réalistes (voir PL Assoun, « Tocqueville et la légitimation de la modernité », Analyses et réflexions sur Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Ellipses, 1985, pp. 136-171.

[28J. Baudrillard, Amérique, Paris, Grasset, 1986, p. 151

[29N. Dubouis note à juste titre l’émergence d’un « homme historique » américain dans la conscience française dès le milieu du XVIIIe siècle (« Un rêve politique : la naissance des Etats-Unis d’Amérique », Mémoire de maîtrise, Université de Paris X-Nanterre, 2002, p. 62.

[30C. Fohlen, « Les lieux de documentation historique », Chantiers d’histoire américaine, op. cit., p. 23

[31D. Lacorne, L’invention de la République, Paris, Hachette, 1991, p. 10.

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