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L’économie ne ment pas, mais ne prédit pas l’avenir

dimanche 18 octobre 2009

L’économie est tout de même une science. Elle l’est parce que les économistes - reconnus comme tels par leurs pairs - suivent une démarche véritablement scientifique. Partant des faits constatés, on les mesure, on cherche des récurrences, on en tire des modèles, on soumet ces modèles à la critique et on les confronte à la réalité : la science économique progresse ainsi d’une hypothèse falsifiable à l’autre.

Certains modèles résistent à l’épreuve du temps et des faits : ils deviennent des lois exprimables en langage mathématique. Le nombre de ces lois économiques, passées de la théorie à l’action, augmente, elles produisent des résultats mesurables : la croissance principalement. L’économie est une science puisqu’elle progresse, selon la définition même de toute science selon Karl Popper, et elle améliore le sort d’une fraction croissante de l’humanité.

Considérons l’histoire du XXe siècle depuis 1945 : il est indéniable que des millions d’êtres humains sont sortis de la pauvreté et que ce nombre s’amplifie. Miracle ? Si l’Europe de l’Est se reconstruit, si le Brésil, l’Inde ou la Chine progressent, ce n’est pas pour avoir changé de culture, ni même de régime politique, ni découvert des richesses naturelles. L’unique changement qui les a fait passer de la misère au mieux-être fut celui des stratégies recommandées par la science économique : le libre-échange, la concurrence entre entreprises, l’émission de monnaies stables.

Ces stratégies ont été des recettes de croissance transférées du laboratoire à la pratique. Ces principes - il en est d’autres tels la relation entre niveau de salaire et chômage, la "création destructrice" ou principe de Schumpeter (l’évolution économique provoquée par l’innovation ne se déroule pas sur un rythme linéaire mais en suivant, à l’intérieur d’un cycle, une alternance de phases d’expansion et de crises), les avantages de la répartition des risques financiers ou titrisation - sont des acquis qui forment un consensus. Les querelles entre économistes sont vives mais elles se situent, généralement, à l’intérieur de ce paradigme : celui qui conteste le principe même du libre-échange ou préconise l’inflation est à l’économie ce que le rebouteux est à la chirurgie.

Les économistes américains qu’on loue en Europe, tels Paul Krugman parce que social-démocrate et Joseph Stiglitz parce qu’antimondialiste (tous deux tenus à l’écart par Barack Obama) se situent tout de même à l’intérieur du paradigme : Joseph Stiglitz ne nie pas l’efficacité du libre-échange contre la pauvreté, Paul Krugman ne propose pas de substituer le socialisme au capitalisme. L’un et l’autre, dans leurs travaux universitaires comme dans leurs positions publiques, soulignent à l’envi les imperfections du marché. Mais nul économiste, fût-il ultralibéral, ne les nie ! Le débat entre libéraux et interventionnistes porte avant tout sur la manière de contenir ces imperfections.

Les éliminer ? Nul n’y croit : des systèmes économiques idéaux sur le papier ont été expérimentés, grandeur nature, au XXe siècle avec les résultats tragiques que l’on connaît. La grande querelle entre économistes ne porte que sur la réglementation publique.

Les interventionnistes attendent des Etats qu’ils réduisent les déséquilibres sur les marchés, dont les bonus des traders sont une manifestation parmi bien d’autres moins visibles. Les libéraux ne nient pas ces déséquilibres, mais doutent que les gouvernements soient plus rationnels que les marchés : les marchés font des bulles, mais les gouvernements font la guerre. Les capitalistes sont agités de passions déraisonnables, mais les hommes politiques et les bureaucrates ne sont pas nécessairement plus sages ni désintéressés.

Les économistes libéraux invitent donc à renforcer l’information sur les marchés : dans cette analyse libérale, les bulles spéculatives naissent, non pas de l’absence de règles, mais du manque d’informations qui conduit aux abus commis par les initiés. Jean Tirole, en France, est sur cette ligne.

Si l’économie est une science, que vaut une science qui ne prédit rien ? "Les économistes savent tout faire sauf prévoir", déclarait Gérard Debreu, recevant le prix Nobel d’économie en 1983. En réalité, les économistes savent prévoir que des mauvaises politiques conduiront au pire. Geler les prix et les salaires, nationaliser les industries, fermer les frontières, imprimer de la monnaie garantissent la misère : cela est prévisible.

Et au cours de la présente récession, il est remarquable que tous les gouvernements se soient accordés pour préserver le libre-échange (au contraire de 1930), refinancer les banques (au contraire de 1930), éviter l’inflation (au contraire de 1974) : les acquis de la science économique ont évité de répéter les erreurs commises lors des crises antérieures. Or nul ne félicite les économistes pour les vingt-cinq années de croissance antérieure à la crise, ni lorsqu’ils évitent que la récession ne dégénère.

Prévoir et prévenir la crise de 2008 ? Il se trouve, a posteriori, des devins pour l’avoir annoncée, mais en l’état actuel des connaissances nul n’aurait pu la certifier. Les crises restent imprévisibles parce qu’elles résultent de la cristallisation de facteurs innombrables que l’on ne sait pas mesurer.

On peut même envisager avec Benoît Mandelbrot, mathématicien et économiste français, que les marchés financiers étant aléatoires par définition, les crises resteront inévitables : seul un système économique fixe, sans innovation serait prévisible. Innovation, croissance, crise sont liées : réglementer un seul de ces facteurs réagit sur tous les autres.

Cette complexité éclaire le désaccord entre économistes sur la cause de la crise, en supposant qu’il n’y en ait eu qu’une seule : les libéraux tiennent la Réserve fédérale américaine (Fed) pour coupable d’avoir, par le crédit trop facile, suscité une bulle spéculative. Les interventionnistes attribuent aux manques de règles cette même spéculation. On saura les départager dans dix ans peut-être, quand suffisamment de données auront été rassemblées ; on pourra aussi conclure sur l’utilité ou non des relances publiques. A ce jour, on ne le peut pas.

L’économie de marché est imparfaite et ne conduit qu’à des progrès matériels et relatifs : autant de nuances ne séduiront jamais les amateurs de perfection. Seront déçus aussi les guetteurs d’apocalypse : de crise en crise, le capitalisme ne meurt pas mais rebondit. D’une crise à l’autre aussi, les économistes apprennent.


- Illustration sous licence Creative Commons : Liar’s

- La [recension de L’

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