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Crise financière : les leçons de l’histoire

mercredi 4 novembre 2009

Ceux qui croient que nous avons désormais une parfaite connaissance de ce qui s’est passé avec la crise financière se trompent. La recherche continue, et progresse. De nouvelles informations, de nouvelles analyses nous parviennent qui permettent d’affiner notre connaissance des mécanismes en cause. Et plus je me trouve conforté dans la conviction que c’est notre interprétation de la crise, l’interprétation libérale (voire même libertarienne), et non celle de la “mainstream economics”, ou des pouvoirs publics, qu’ils soient français ou américains, qui est la bonne.

Dernière pièce au dossier : l’entretien avec Charles Calomiris, Professeur de finance et d’économie à la célèbre Columbia University, qui vient d’être mis en ligne sur Econtalk, la page web qu’anime Russ Roberts sur le site du Liberty Fund. Une interview passionnante qui resitue la crise financière 2007-2009 dans son contexte historique de longue période.

Charles Calomiris s’en prend bille en tête aux thèses à la mode qui voudraient faire croire que l’explication de telles crises relèverait moins de l’analyse économique que de la psychologie des foules, et de la manière dont des processus imprévisibles, notamment de type mimétique, seraient finalement responsables du déclenchement de mouvements de panique échappant à toute véritable explication rationnelle. Il en résulte que l’économie capitaliste serait intrinsèquement instable et vulnérable à la survenance d’événements impossibles à prédire, contre lesquels les mécanismes d’autorégulation des marchés seraient dépourvus d’efficacité. Il s’agit des explications à la Soros, ou à la Minsky, aujourd’hui très en vogue et qui servent à justifier le retour à une philosophie de l’Etat conçu comme agent essentiel de régulation et de tutelle des marchés.

Y a-t-il des périodes où soudainement, et sans raison apparente, les agents se laisseraient gagner par des démons irrationnels - les célèbres animal spirits de Keynes - qui leur feraient abandonner leurs points de repère traditionnels (notamment leurs références morales les plus solidement établies) ? Pourquoi les mêmes individus se transformeraient-ils soudain en impitoyables rapaces laissant libre court à une cupidité sans frein ? La nature humaine serait-elle aussi inconstante et versatile ? Peut-on vraiment envisager fonder une science de l’économie sur de telles hypothèses de comportement ?

Les crises bancaires ne sont pas des événements si exceptionnels. L’histoire en est pleine. Si les explications de nature psychologique étaient vraies, et s’il était exact qu’elles ont naturellement tendance à se reproduire dans les moments critiques des cycles économiques, alors la probabilité d’observer la récurrence de tels événements ne devrait guère varier selon les époques. Et il n’y aurait pas de raison pour qu’elles se produisent plus fréquemment dans certains pays, ou certaines régions du monde que dans d’autres. Or, fait remarquer Calomiris, ce n’est pas ce que l’histoire économique nous révèle.

Prenons par exemple la période 1874-1913, souvent présentée comme l’âge d’or, l’apogée du capitalisme libéral : une économie mondiale sans entraves, où les capitaux circulaient librement, où l’Etat - nous dit-on – s’abstenait d’intervenir dans le fonctionnement de l’économie, où les taux de change étaient fixes, où l’or faisait en quelque sorte office de monnaie mondiale, et où la banque et la finance étaient des professions totalement libres.

Pendant cette période – pourtant marquée par une longue phase de déflation qui a laissé d’importantes traces dans la mémoire collective, comme la peur quasiment pathologique de toute baisse durable, même légère, des prix – combien croyez-vous que l’on recense de grands crises bancaires et financières, s’accompagnant de pertes d’actifs considérables (au moins 10 % du PNB), comparables à ce que l’on vient de vivre ?

D’instinct, compte tenu de ce que l’on veut nous faire croire sur l’instabilité inhérente d’un régime de capitalisme libre, nous aurions tendance à penser qu’on devrait certainement en observer un bon nombre. Or quelle est la réponse ? En réalité très peu. Tout juste de quoi les compter sur les doigts d’une main.

Si tout au long de cette période il y eu certes de nombreuses crises, Charles Calomiris n’en compte que quatre où les pertes d’actifs bancaires et financiers aient atteint des chiffres aussi élevés : l’Argentine (1890), l’Australie et l’Italie (1893), la Norvège (1900).

Comparons avec la période contemporaine, 1978 – 2008. Le nombre de crises bancaires répondant au même critère (l’importance des destructions d’actifs en proportion du PNB) est de … 140, dont une vingtaine marquées par des pertes de l’ordre de 20% du PNB, soit deux fois le montant des deux crises les plus sévères de la fin du 19ème siècle ! La distribution n’est pas tout à fait conforme à ce que laisseraient attendre les discours contemporains sur les vertus régulatrices et salvatrices de l’intervention publique.

Partant de là, la question qu’il convient de se poser est : qu’est-ce qui explique cette différence ? Quel est le facteur présent dans l’économie contemporaine, qui n’existait pas au dix neuvième siècle, et qui expliquerait cette tendance nouvelle à la dramatisation des crises bancaires et financières ?

La thèse de Calomiris est que si la politique monétaire est l’ingrédient essentiel responsable de toute crise économique – bancaire, monétaire, financière, crise de change, crise de balance des paiements, etc … -, seule la présence de politiques publiques ayant pour conséquence de réduire la prudence naturelle de certains acteurs économiques devant la prise de risque, peut expliquer que les crises prennent un tour aussi dramatique. La monnaie est l’ingrédient nécessaire, qui explique notamment le “timing” des crises, mais l’élément essentiel est la présence de politiques qui, parce qu’elles atténuent leurs responsabilités et socialisent les coûts de leurs mauvaises décisions, incitent les gens à prendre davantage de risque.

Les deux domaines économiques où ce genre d’interventions est le plus répandu, et où les Etats n’ont pas attendu la fin du 20ème siècle pour s’y lancer, sont l’immobilier et la banque. La Norvège de 1900 avait mis en place un mécanisme de soutien au crédit immobilier qui était déjà un Fanny Mae avant la lettre. L’Australie de 1893 se distinguait elle aussi par une active politique de promotion du développement immobilier. Quant à l’Argentine et à l’Italie de la fin du 19ème siècle, elles étaient déjà gangrénées par le retour d’une idéologie de paternalisme économique protecteur (précurseur du fascisme) dont les banquiers furent les premiers à savoir adroitement tirer parti. Pour Charles Calomiris la cause fondamentale des grandes crises bancaires relève donc plus de l’ordre des incitations microéconomiques que de la politique macroéconomique proprement dite.

Charles Calomiris mentionne un autre fait historique particulièrement instructif. La Grande-Bretagne fut incontestablement la patrie du libre-échange et du capitalisme libéral du 19ème siècle. On ignore cependant souvent que, sur le plan monétaire, pendant toute la première partie de ce siècle, elle n’a pas toujours été aussi libérale qu’on le croit. Pendant cette période, l’Angleterre a connu une succession impressionnante de paniques bancaires : 1819, 1825, 1836, 1847, 1857. La Banque d’Angleterre était un établissement privé, mais doté de privilèges qui la soumettaient aux exigences du pouvoir politique. Le principe du prêteur en dernier ressort n’existait pas encore, mais c’est effectivement le rôle que la Banque remplissait à chaque fois que les événements commençaient à mal tourner , grâce à mécanisme complexe d’option de vente sur les lettres de change que lui imposait le gouvernement. La pratique a duré jusqu’en 1866, lorsque, sollicitée pour sauver à nouveau de la faillite le plus gros agent de change de la place de Londres, la Banque d’Angleterre s’est finalement rebellée contre la pression politique qui s’exercait sur elle et a fermement répondu qu’elle se refusait désormais à continuer ce jeu. Curieusement, la panique bancaire de 1866 fut la dernière que le pays connût, jusqu’au déclenchement de la guerre de 14. Est-il farfelu de suggérer qu’il y aurait un rapport entre l’intervention (contrainte) de la Banque d’Angleterre pour assurer à tout prix la liquidité du système financier et la succession de crises bancaires qui marqua l’époque ?

S’agissant des racines de la crise actuelle, Calomiris les situe d’abord, bien sûr, dans la politique des subprimes, sur laquelle il n’est point besoin de revenir, mais aussi dans le principe d’assurance des dépôts bancaires dont il livre une critique approfondie, très mal connue, et très à rebrousse poil de tout ce que peut admettre la “mainstream economics”. La conséquence de l’assurance des dépôts est d’empêcher les banques de se faire concurrence par le risque – et donc d’éliminer toute sanction par le marché de ceux qui en prennent trop. Moyennant quoi le seul élément de discipline réside désormais dans la surveillance d’un régulateur en principe indépendant, mais dont l’expérience démontre qu’il finit par se laisser “capter” par les intérêts de ceux qu’il surveille.

Au total, un entretien passionnant d’un bout à l’autre, au cours duquel le spécialiste de l’histoire bancaire qu’est Charles Calomiris remet en cause nombre de clichés auxquels même les plus solides libéraux (comme Milton Friedman à propos de l’assurance des dépôts) se sont parfois laissés prendre.

A retenir en particulier son explication concernant l’effet stabilisateur de la création de la FED. Calomiris affirme que si la FED a effectivement eu pour conséquence d’atténuer la vulnérabilité des banque américaines à la conjoncture, cela est principalement du à une particularité exclusive du système bancaire américain de l’époque : à savoir la contrainte législative qui limitait, dans la plupart des états, l’exercice de la profession bancaire à un seul établissement. Mais, ajoute-t-il, on ne peut pas en conclure que ce cas d’espèce ajoute une preuve supplémentaire à l’affirmation habituelle selon laquelle l’existence des banques centrales aurait nécessairement pour conséquence de réduire le degré d’exposition des économies de marché libres aux risques d’accidents conjoncturels.

Comme tous les économistes d’obédience ‘autrichienne’, je suis – et je reste plus que jamais convaincu du contraire.


- Visitez le blog d’Henri Lepage ici

- Illustration sous licence Creative Commons : Wall Street Crisis

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