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Critique du livre de Philippe Raynaud

Trois révolutions de la liberté

lundi 18 janvier 2010

Philippe Raynaud est reconnu comme l’un des meilleurs spécialistes francophones de la philosophie politique et, en particulier, de l’histoire des idées qui sous-tendent l’évolution des trois grandes démocraties libérales que sont les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France. Le programme de son dernier ouvrage, Trois révolutions de la liberté : Angleterre, Amérique, France est donc particulièrement intéressant : une « analyse comparée des trois grandes traditions politiques dont est sorti le monde de la démocratie libérale ».

Philippe Raynaud commence à juste titre par l’analyse de la plus ancienne des révolutions de la liberté, la « Glorieuse Révolution » anglaise de 1688. Un grand référent pour les libéraux et les libéraux conservateurs, comme le note à juste titre Raynaud, car cette révolution qui n’en est pas tout à fait une, s’inscrit dans la continuité de la longue histoire des libertés anglaises. Comme le souligne Wikibéral, « ces libertés anglaises restèrent un élément important des questions de philosophie politique qui agitèrent l’Angleterre jusqu’au XIXe siècle, en particulier dans une perspective libéral-conservatrice comme celle d’Edmund Burke à la fin du XVIIIe siècle. Burke souligne que ces libertés anglaises se sont construites de façon pacifique et graduelle, pour construire un régime libre et harmonieux. A l’inverse, les révolutionnaires français entendent imposer une « abstraction » rationaliste en faisant table rase du passé. Les libertés anglaises s’inscrivent pour Burke dans l’histoire et la révolution de 1688 n’est qu’une restauration, une restauration de ces libertés anciennes ». La longue tradition anglaise suit l’amélioration progressive et jamais terminée de l’héritage constitutionnel des générations précédentes (Doctrine du King in Parliament, Common Law, etc.). Raynaud reprend ces analyses, dans un long texte sur Edmund Burke qui ouvre le livre, mais aussi plus en détails ultérieurement. Cependant, l’intérêt du livre vient aussi du fait qu’il étudie les courants qui nous sont moins familiers, sympathisants du positivisme juridique comme Hobbes, Bentham, Austin et Hart [1] ou les tenants d’une rupture plus franche avec les institutions héritées du passé comme Thomas Paine.

Poursuivant sur un ordre chronologique, Philippe Raynaud nous entraine ensuite sur les traces de la révolution américaine, jusqu’à la guerre de sécession. La situation américaine présente des similitudes tant avec le gradualisme anglais qu’avec la tabula rasa de la révolution française. D’une part il y a bien l’insistance de la référence aux libertés anglaises. Mais à celle-ci s’opposent des appels à la raison, tant des américains que des observateurs extérieurs comme Turgot. Au final, « l’expérience américaine ne fait pas que prolonger la tradition des libertés anglaises, [..] elle est aussi une révolution des droits de l’homme » [2]. Mais c’est surtout une révolution aux visées beaucoup plus modestes que les français ; comme le note Mona Ozouf, « A la différence des Français, [les américains] n’ont pas été assez fous pour croire qu’ils allaient changer les passions humaines » [3]. En outre, Raynaud pointe les analyses faites de l’utilité des factions dans une démocratie, en revenant sur les analyses faites en particulier par les auteurs du Fédéraliste. Enfin, l’auteur revient sur la guerre de sécession et sur les débats sur la nature du fédéralisme relancés par les Etats du Sud, en particulier par Calhoun [4].

Au miroir de ces deux expériences, la révolution française tranche sur nombre de points majeurs ; premier point, la recherche d’une politique qui soit guidée par la raison, qui se distingue nettement de la volonté de limitation des pouvoirs qui transparait avec les checks and balances ou dans le King in Parliament, principe qui limite la souveraineté du roi par le parlement. En outre, là où, pour des raisons variables, anglais et britanniques voient l’utilité des factions, les révolutionnaires français bien vite l’occultent et privilégient la communauté par rapport à l’individu. Bien vite, la dérive de la révolution française vers la Terreur mettra à mal les aspirations à la liberté. En découlera un positionnement ambigu des libéraux français vis-à-vis de la révolution. Un Benjamin Constant ainsi insistera pour distinguer la révolution libérale de la Terreur et maintenir la possibilité d’une démocratie libérale en France, alors que le pouvoir napoléonien se met pourtant en place. Pour expliquer l’insuccès de la révolution à établir une république stable, Raynaud mentionne les auteurs pour qui la France manquait d’une tradition politique qui l’ait préparée à cela. Il cite ainsi largement Charles de Rémusat qui écrivait à propos des Réflexions sur la révolution de France : « Burke omet une chose, c’est de découvrir [à la France] des traditions dont elle pût se faire des droits. Comme on invente des aïeux à qui veut vieillir sa noblesse, il fallait lui refaire son
histoire pour que sa liberté fût historique ; mais en France la liberté est une nouvelle venue qui devait être la fille de ses œuvres. » Cette analyse est dans une large partie vraie. Mais on pourra regretter l’absence de référence à ce courant non négligeable d’auteurs qui, dans la lignée de la glorieuse révolution, entendit revenir, dès le XVIIe siècle, à un système de libertés germaines, inspiré des libertés anglaises (Voir Les racines de la liberté de Jacques de Saint Victor, prix Wikibéral 2008). Eussent-ils été entendus, l’histoire aurait été différente. Vue l’influence certes temporaire mais majeure de ces idées, il est dommage qu’ils ne soient pas étudiés ici.

A la suite de ces trois parties, une dernière entend mettre en évidence le « dialogue inépuisable » que ces trois révolutions entretiennent. Cependant, leur intérêt en est moindre à mes yeux ; on a ainsi du mal à percevoir l’apport des chapitres sur la commémoration ou sur Simone de Beauvoir. La faiblesse de cette dernière partie permet de montrer la plus grande critique que l’on peut faire à ce livre, en dépit de la très grande qualité et érudition des analyses que nous venons de présenter. Philippe Raynaud nous promet une histoire comparée des trois grandes traditions politiques occidentales, mais, à la lecture du livre, on ressort avec trois lectures parallèles, parfois mais trop rarement croisées. Cela découle largement du format choisi, une compilation d’œuvres diverses, étalées dans le temps, sans un fil directeur pour guider la réflexion. La plupart du temps, charge au lecteur de chercher par lui même similitudes et différences, en comparant tel chapitre avec tel autre. Manquent du liant, une trame, une mise en évidence des grandes lignes de force. En outre, la répétition fréquente de coquilles jusque dans les titres, coquilles d’autant plus surprenantes qu’il s’agit de textes réédités, surprend de la part des PUF et rend la lecture par certains moments bien pénible, de même que l’usage peu clair fait par Philippe Raynaud du terme de « libéral » dans le cas américain, alors que le sens de liberal est à peu près opposé de celui de libéral [5].

Lacunes regrettables car le sens de la nuance et la grande qualité des analyses de Philippe Raynaud font, sur les points spécifiques qu’il aborde, de ses textes des références passionnantes.

Quatrième de couverture :
Trois révolutions de la liberté propose les éléments d’une histoire politique comparée des trois grandes traditions politiques - anglaise, américaine, française -, d’où est sorti le monde de la "démocratie libérale".

La voie anglaise doit d’abord être comprise à partir des particularités du droit anglais, qui a fait naître un type original de rationalisation du droit et du pouvoir étatique. Elle s’est traduite aussi par une histoire religieuse originale et par la découverte précoce de ce que les divisions partisanes pouvaient apporter à une société libre.

Depuis Tocqueville, les États-Unis apparaissent classiquement comme le laboratoire de la démocratie moderne, dont les effets se déploieraient pleinement du fait de l’absence d’héritage aristocratique et de la prédominance de l’esprit "démocratique" sur l’esprit "révolutionnaire" ; mais l’Amérique a dû elle aussi affronter, au moment de la guerre de Sécession, une crise violente qui a fait apparaître des oppositions comparables à celles qui ont déchiré la France révolutionnaire et c’est des États-Unis démocratiques que sont sortis, à la fin du XXe siècle, de nouveaux courants radicaux.

Avant d’être celle de la Terreur, la Révolution française est celle des droits de l’homme mais, comme l’avait bien vu Hegel, son développement heurté et tragique peut lui-même être interprété comme l’expression d’une dialectique qui est déjà présente dans les principes et dans le "superbe lever de soleil" de 1789. Pour le meilleur et pour le pire, la démocratie française est donc bien toujours l’héritière de la Révolution - et de l’Ancien Régime : on verra ici que, sur des questions non négligeables pour l’humanité moderne, cet héritage violent a pu aussi être la source d’une modération paradoxale, et d’une version civilisée du progrès démocratique.

L’histoire des révolutions démocratiques est donc une histoire vivante, et l’inépuisable dialogue entre les traditions qui en sont issues est une des conditions de notre liberté.


Contrepoints remercie les


[11ère partie, 1er chapitre

[2page 149

[3Critique du livre pour BibliObs

[4Sur ce dernier point, on pourra se prolonger les réflexions de l’auteur avec Jean-Philippe Feldman dans La bataille américaine du fédéralisme, PUF

[5Voir Alain Laurent, Le libéralisme américain, Les Belles Lettres

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