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35 heures : moins d’emplois et plus d’inégalités

vendredi 7 décembre 2001

L’arithmétique des scénarios macro-économiques

Les propriétés des modèles macroéconométriiques

LA complexité des modèles macroéconométriques, qui comprennent généralement plusieurs centaines d’équations, rend ces prédictions peu transparentes. De tels modèles intègrent des mécanismes keynésiens de court terme, liés à l’existence de rigidités nominales, tout en prenant en compte les contraintes financières auxquelles sont confrontées les entreprises. En outre, dans de tels modèles, l’articulation entre le court et le long terme n’est pas satisfaisante pour étudier l’impact de la RTT. A long terme, le taux de chômage est déterminé par une relation de Phillips, qui définit un taux de chômage d’équilibre (NAIRU, Non accelerating inflation rate of unemployment), a priori indépendant de la durée du travail, alors qu’il y a de nombreuses raisons de penser que le NAIRU est influencé par la durée du travail (d’Autume et Cahuc, 1997).

Comme le montre clairement l’étude de Bossard et Postel-Vinay (1997), réalisée à partir de maquettes de modèles macroéconométriques en économie fermée, la dynamique simulée du taux de chômage est généralement cyclique autour du taux de chômage d’équilibre, lui-même indépendant de la durée du travail, dans la version de base des modèles. Dans ce cadre, la réduction de la durée du travail entraîne bien un accroissement de l’emploi à court terme. En effet, dans un environnement keynésien, où les entreprises sont supposées contraintes sur leurs débouchés, la RTT doit être compensée par des embauches pour honorer les commandes. Les gains d’emplois ainsi réalisés tendent néanmoins à se résorber, car la baisse du chômage se traduit par un accroissement des salaires via l’effet Phillips (1).

Généralement, cette réponse des salaires est suffisamment importante pour renverser la tendance à l’emploi et accroître, à terme, le chômage. L’augmentation du chômage induit alors une baisse des salaires, toujours du fait de l’effet Phillips, ce qui entraîne au total des variations cycliques du taux de chômage autour de sa valeur d’équilibre de long terme. Les modèles macroéconométriques en économie ouverte aboutissent à des conclusions proches d’un point de vue qualitatif, même si l’ouverture de l’économie atténue les effets de court terme de la RTT et amoindrit l’ampleur des cycles. En tout état de cause, l’horizon des prévisions influence très fortement les résultats des simulations.

Néanmoins, il est rassurant de constater que les propriétés de moyen terme des modèles macroéconomiques sont cadrées à partir de l’étude du comportement de demande de travail d’une entreprise représentative. En effet, les principaux résultats des modèles macroéconomiques (obtenus à un horizon de cinq à sept ans) peuvent être illustrés par une étude du comportement de demande de travail d’une entreprise représentative dont les caractéristiques clefs correspondent aux valeurs moyennes constatées au niveau macroéconomique.

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Les enseignements des modèles de demande de travail

Contrairement à la situation de court terme envisagée par les modèles macroéconomiques, dans lesquels les rigidités de prix impliquent que les firmes sont contraintes sur les débouchés, les modèles de demande de travail déduisent l’emploi de la maximisation du profit d’entreprises, disposant éventuellement d’un pouvoir de monopole sur le marché de leur produit, dans un environnement où les prix sont flexibles. Dans ce cadre, il apparaît clairement que l’impact sur l’emploi d’une RTT est influencé par trois éléments : les gains de productivité horaire, l’ampleur des réorganisations et la compensation salariale :

- la RTT peut en effet permettre d’accroître la productivité horaire du travail, si l’on admet que le travail est plus intense lorsqu’il est concentré sur des horaires moindres (Askenazy, 2000, d’Autume, 2000). Un accroissement de la productivité du travail est généralement favorable à l’emploi ;

- en l’absence de réorganisation du fonctionnement interne de l’entreprise, la baisse de la durée du travail se traduit par une réduction de la durée d’utilisation des équipements, ce qui est en général préjudiciable à la rentabilité de l’entreprise et, en définitive à l’emploi. Néanmoins, la RTT peut susciter d’importantes réorganisations, favorables à l’emploi, si elle conduit à un allongement de la durée d’utilisation des équipements ;

- enfin, à salaire horaire donné, une RTT entraîne une réduction du salaire annuel. Lors des expériences passées de RTT, la résistance des travailleurs à la réduction de leur revenu a conduit à un certain degré de compensation salariale, c’est-à-dire à un accroissement du salaire horaire compensant l’impact de la RTT sur le revenu annuel. Les modèles de demande de travail montrent que la compensation salariale est défavorable à l’emploi car elle accroît le coût du travail.

Pour apprécier l’impact de la RTT sur l’emploi, il est essentiel de disposer d’ordres de grandeur sur l’importance de ces trois effets ainsi que sur les caractéristiques de la technologie des entreprises, en particulier le degré de substituabilité entre capital et travail. Dans cette perspective, le tableau 1 présente les comportements de demande de travail (2), en supposant une réduction de 10 % de la durée du travail sans aucune subvention. Il montre que le scénario le plus favorable à l’emploi, où il n’y a aucune compensation salariale (c’est-à-dire où le salaire hebdomadaire diminue de 10%), une réorganisation permettant de conserver une durée d’utilisation des équipements constante, et des gains de productivité horaire égaux à 50%, se traduit par un accroissement de 13 % de l’emploi, de 12 % des profits et de 6 % de la production. La deuxième colonne se situe dans un scénario éminemment pessimiste du point de vue de l’emploi : compensation salariale totale, absence de réorganisation et de gain de productivité horaire. L’emploi diminue de 17%, les profits de 33% et la production de 22%. Entre ce deux cas limites, tous les scénarios sont envisageables, dans la mesure où les informations quantitatives sur les trois paramètres conditionnant l’efficacité de la RTT sont très rares. La troisième colonne du tableau donne les variations de l’emploi dans un cas intermédiaire, où la compensation salariale est totale, les gains de productivité du travail sont d’un tiers (3) et où les réorganisations permettent de maintenir la durée d’utilisation des équipements. L’emploi diminue de 5%, et la mesure est défavorable aux profits et à la production.

Tableau 1 : impact d’une réduction de 10 % de la durée du travail

Scénario 1

Scénario 2

Scénario 3
Emploi

+ 13 %

- 17 %

- 5 %
Production

+ 6 %

- 22 %

- 16 %
Profits

+ 12 %

- 33 %

- 8 %

Le rôle très important de la compensation salariale apparaît clairement si on calcule la variation (exprimée en pourcentage) du salaire mensuel compatible avec un maintien de l’emploi lorsque la durée du travail est réduite de 10%. Cette variation dépend des gains de productivité et des réorganisations qui conditionnent la durée d’utilisation des équipements. On peut constater que les variations du salaire sont comprises entre - 0,5% dans le cas théorique où la RTT n’entraîne aucune diminution de la production, et - 10 % dans la situation la moins avantageuse, où la production diminue dans la même proportion que les heures.

Ces résultats soulignent la nécessité de mesures d’accompagnement de la RTT, sous forme de subventions, non seulement pour inciter les entreprises, mais aussi pour préserver l’emploi à terme. Dans cette perspective, le tableau 2 présente le calcul des subventions nécessaires pour maintenir l’emploi ou les profits, en pourcentage du coût du travail ex ante dans les trois scénarios envisagés dans le tableau 1. Le tableau 2 montre que la RTT doit être financée, pour des valeurs plausibles (proches de celles envisagées dans le scénario 3) des paramètres, afin de maintenir l’emploi et la compétitivité sur un horizon de moyen terme lorsqu’il y a compensation salariale totale. Cette conclusion peut paraître très pessimiste, et se situe très loin de l’idée selon laquelle la RTT favorise la création d’emplois.

Tableau 2 : Subventions, exprimées en pourcentage du coût ex ante du travail, nécessaires pour compenser l’impact d’une RTT de 10 % de la durée du travail

Scénario 1

Scénario 2

Scénario 3
Emploi

- 8 %

10 %

3 %
Profits

- 5 %

14 %

7 %

La réaction des salaires

La réaction des salaires semble conditionner l’impact de la RTT sur l’emploi. Les modèles macroéconomiques traditionnels sont très peu adaptés pour évaluer l’évolution des salaires. La formation des salaires y est généralement représentée par une relation de Phillips, sur laquelle les horaires n’ont pas une influence clairement définie. Les modèles de négociation salariale constituent, à ce titre, un outil analytique intéressant pour comprendre les déterminants de la réaction des salaires à la suite d’une RTT (voir par exemple : d’Autume et Cahuc, 1997). Ils ont, en outre, fait l’objet de nombreux travaux empiriques qui soulignent leur pertinence pour représenter la formation des salaires (voir Cahuc et Zylberberg, 2000).

Les modèles de négociation permettent tout d’abord d’expliquer la durée du travail et les salaires négociées par les partenaires sociaux. Ils montrent que la durée du travail négociée est influencée par trois paramètres : la préférence pour le temps libre, les gains de productivité horaire liés à la réduction de la durée du travail, et le pouvoir de négociation des salariés. Un accroissement de chacune de ces trois variables contribue à réduire la durée négociée du travail. En outre, ces modèles montrent qu’une réduction de la durée du travail en deçà de la durée négociée est accompagnée d’une compensation salariale d’autant plus forte que :

- la durée du travail imposée est inférieure à la durée spontanément négociée ;

- le pouvoir de négociation des salariés est élevé.

L’étude (à partir de données françaises) des conséquences de la RTT dans un modèle de négociation permet de constater qu’une réduction de la durée du travail est susceptible d’accroître l’emploi, d’environ 2%, si on passe de la durée négociée spontanément par les acteurs sociaux à une durée d’environ 10% inférieure. Mais une diminution trop importante de la durée du travail entraîne une forte diminution de l’emploi. Evidemment, ces résultats sont illustratifs et ont une portée essentiellement qualitative. Ils ne sont nécessairement que très approximatifs, car l’incertitude sur les valeurs des paramètres déterminant la durée du travail spontanément négociée rend très difficile l’évaluation de l’impact de la RTT sur l’emploi.

Que nous enseignent, à ce titre, les expériences passées de réduction de la durée du travail ? Y a-t-il eu des gains d’emplois ? Y a-t-il eu compensation salariale ?

Les enseignements des études sur données microéconomiques

L’utilisation de données microéconomiques constitue une source d’information très précieuse pour évaluer la réponse des salaires, de l’emploi et de diverses variables d’intérêt aux réductions passées de la durée du travail. Récemment, des études ont été menées dans cette perspective, sur l’expérience française de 1982, sur les RTT en Allemagne entre 1984 et 1994, ainsi que sur la loi Robien.

L’expérience française de 1982

Crépon et Kramarz (1999) ont exploité des données longitudinales pour évaluer l’impact de la réduction de la durée du travail introduite par la loi du 1er février 1982. Utilisant l’enquête-emploi, Crépon et Kramarz montrent que les travailleurs directement affectés par la réduction de la durée hebdomadaire du travail entre 1981 et 1982 ont eu une probabilité de perdre leur emploi supérieure à ceux dont la durée du travail était inférieure à 39 heures en 1981. Plus précisément, Crépon et Kramarz comparent les taux de perte d’emploi des salariés qui travaillaient de 36 à 39 heures avant 1982 avec ceux qui travaillaient exactement 40 heures. 6,2 % des salariés travaillant 40 heures en 1981 avaient perdu leur emploi en 1982, tandis que seulement 3,2 % de ceux qui travaillaient moins de 40 heures en 1981 n’avaient pas d’emploi en 1982. La prise en compte des problèmes de biais de sélection conduit Crépon et Kramarz à estimer que la réduction de la durée hebdomadaire du travail en 1981 a entraîné une différence de taux de perte d’emploi entre ces deux catégories de travailleurs qui varie de 2,4 % et 4 %. Cet effet est plus marqué pour les travailleurs rémunérés au salaire minimum (dont la compensation salariale a été totale), pour lesquels l’impact est d’environ 5 %.

Certes, l’enquête-emploi présente de nombreux défauts (soulignés par les auteurs). Elle porte sur les seuls mois de mars, ce qui implique que la fréquence des observations est très faible. En outre, les heures déclarées sont très approximatives. Ces résultats n’éclairent que partiellement les conséquences de la RTT sur l’emploi, puisqu’ils ne donnent aucune indication sur les embauches, qui peuvent avoir été accrues par la RTT, d’autant que les salariés travaillant 40 heures avant le 1er février 1982 et travaillant 39 heures après cette date étaient payés sur une base de 40 heures, alors que les salariés embauchés après le 1er février travaillant 39 heures étaient effectivement payés sur une base de 39 heures. Les conclusions de Crépon et Kramarz doivent donc être interprétées avec prudence. Néanmoins, elles ne permettent en aucun cas de conclure à un impact positif de la réduction de la durée hebdomadaire du travail sur l’emploi, et ont plutôt tendance à confirmer les conclusions auxquelles aboutissent les études basées sur l’analyse du comportement de demande de travail des entreprises : une RTT avec compensation salariale ne permet pas de créer des emplois, même à court terme.

L’expérience allemande

Hunt (1999) a étudié les conséquences des réductions négociées de la durée du travail en Allemagne en utilisant des données individuelles sur la période 1984-1994. En Allemagne, des réductions de la durée conventionnelle du travail ont été négociées au niveau des branches dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Au-delà de la durée conventionnelle ; les employeurs doivent payer des heures supplémentaires, généralement majorées de 25 %. La durée hebdomadaire conventionnelle moyenne dans l’industrie est passée de 40 heures en 1984 à 38,8 heures en 1988 et à 37,7 heures en 1994. Hunt souligne que l’objectif explicite des accords de réduction de la durée du travail étaient fréquemment d’accroître l’emploi en favorisant le partage du travail, et que les accords signés prévoyaient généralement une flexibilité accrue des horaires, bien qu’il semble que cette possibilité ait été peu utilisée par les entreprises.

La variabilité des durées conventionnelles constitue une précieuse source d’information pour évaluer les conséquences des mesures de réduction de la durée du travail sur les heures effectives, les salaires et l’emploi. Hunt estime que la durée déclarée du travail décroît dans une proportion similaire à celle de la durée conventionnelle. Les résultats concernant les heures sont très significatifs. En revanche, la réduction de la durée du travail n’a pas entraîné de diminution significative des salaires mensuels. L’impact sur l’emploi est très décevant, dans la mesure où il apparaît que cette variable n’est pas significativement affectée par la durée conventionnelle du travail pour la plupart des estimations. Certaines estimations aboutissent même à un impact négatif significatif sur l’emploi des hommes.

Tableau 3 : résumé des résultats clés de Hunt (1999) concernant l’impact de la réduction de la durée conventionnelle du travail en Allemagne
Impact de la réduction de 1 % de la durée conventionnelle du travail
sur la durée déclarée

- 0,8 à 1 %
sur le salaire mensuel

0 %(-)
sur l’emploi

0 %(-)

Les résultats obtenus par Hunt sont résumés dans le tableau 3. Ils sont cohérents avec l’analyse de la demande de travail développée précédemment. Hunt montre que les diminutions de la durée conventionnelle du travail spontanément négociées entre les acteurs sociaux ont été réalisées avec une compensation salariale totale, alors même que des objectifs d’emploi étaient affichés. Les réductions de la durée du travail opérées avec compensation salariale n’ont eu aucun impact positif, ni transitoire ni permanent, sur l’emploi. Hunt en conclut (p. 1147) : "L’expérience allemande de partage du travail a donc permis à ceux qui ont conservé leur emploi de bénéficier d’horaires moindres, à des taux de salaire horaires plus élevés, mais vraisemblablement au prix d’un niveau global d’emploi plus faible".

Les évaluations de la loi Robien

Les évaluations de la loi Robien ne portent pas explicitement sur l’impact de la RTT dans la mesure où cette loi concerne une batterie de mesures, mêlant des incitations financières, des engagements en matière d’emploi, une réduction de la durée hebdomadaire du travail et un aménagement du temps de travail.

Dans l’ensemble, les études réalisées par la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques - ministère de l’Emploi et de la Solidarité) concluent quel e dispositif Robien a accru les effectifs des entreprises qui en ont bénéficié (Fiole, Passeron et Roger, 2000). Deux ans après l’introduction du dispositif Robien, cet accroissement est de l’ordre de 11,7 % lorsque les biais de sélection ne sont pas pris en compte (4). Les tentatives de contrôle des biais de sélection conduisent à l’estimation d’un impact toujours positif des accords Robien, avec un effet sur l’emploi de l’ordre de 6 % pour les entreprises bénéficiaires. Toujours selon l’étude de Fiole, Passeron et Roger, les réductions de la durée du travail réalisées dans le cadre des accords Robien ont conduit à une modération salariale de l’ordre de 2 % sur deux ans, par rapport à l’évolution constatée dans des entreprises ayant les mêmes caractéristiques observables.

Ces résultats sont intéressants, mais restent partiels à plusieurs titres. Tout d’abord, les estimations de l’impact des accords Robien ne permettent pas d’isoler l’impact de la réduction de la durée du travail sur l’emploi, car les entreprises signant des accords Robien bénéficient de réductions de charges importantes, elles-mêmes favorables à l’emploi. Un calcul sur données françaises suggère que la réduction de la durée du travail avec une forte compensation salariale est coûteuse en termes d’emploi. Plus exactement, une réduction de la durée du travail de 10 % s’accompagnant d’une modération salariale de 2 % a un effet nul sur l’emploi dans le cas très favorable, peu vraisemblable, où les gains de productivité sont de 50 % et où les réorganisations permettent de conserver la durée d’utilisation des équipements. On peut en déduire que la composante RTT des accords Robien a plutôt détruit des emplois, même si, au total, les subventions versées ont permis aux entreprises d’accroître l’emploi. En d’autres termes, les accords Robien auraient créé plus d’emplois, à coût donné pour les finances publiques, s’ils n’avaient pas été conditionnés à des réductions de la durée du travail. Le tableau 4 illustre cet état de fait. Il montre que l’accroissement de l’emploi de 10 % peut être atteint par des allégements de charges plus faibles sans RTT lorsque la RTT est réalisée avec une modération salariale de 2 %, même pour des valeurs relativement optimistes des paramètres (cas 1). Cette remarque s’applique aussi au dispositif Aubry, d’autant plus que la compensation salariale semble plus importante pour les accords Aubry que pour les accords Robien (Doisneau et al., 2000).
Réduction du coût de travail nécessaire pour accroître l’emploi de 10 %
sans RTT

6 %
avec RTT de 10 % (cas 1)

6,7 %
avec RTT de 10 % (cas 2)

10,6 %

Ensuite, les évaluations des conséquences du dispositif Robien négligent totalement le problème de son financement. Ce point est évidemment important, même si certaines évaluations de son coût (Coutrot et Gubian, 1999) concluent à un impact net faible pour les finances publiques. Enfin, l’horizon de l’impact de ce dispositif reste, par la force des choses, très court, et l’on manque cruellement de recul pour appréhender la pérennité de l’effet sur l’emploi des entreprises bénéficiaires.

Les arbitrages de la loi Aubry

Dans l’ensemble, l’évolution des interventions en matière de temps de travail a consisté à accroître la contrainte sur la durée du travail en la relâchant sur la flexibilité des horaires. Les effets d’une telle évolution sont encore très mal connus. Les enquêtes réalisées par la DARES montrent que 48 % des conventions signées dans le cadre de la première loi Aubry prévoient des éléments d’annualisation (Dayan, 1999). On peut penser que cette flexibilité incitera les entreprises à utiliser moins de contrats à temps partiel, diminuant ainsi le temps partiel subi. Néanmoins, comme le souligne la rédaction de Liaisons sociales (2000), le fractionnement du temps susceptible d’en résulter peut aussi s’avérer très dommageable pour certaines catégories de salariés, comme les femmes ayant de jeunes enfants, dont la régularité des horaires est généralement un facteur primordial pour coordonner travail domestique et marchand. Les travaux empiriques disponibles sur ce problème suggèrent que ce fractionnement du temps est susceptible d’accentuer les inégalités, dans la mesure où il semble concerner plus particulièrement les travailleurs les moins qualifiés (Hammermesh, 1999).

On peut remarquer, de manière plus générale, que le choix des plages horaires sans coordination centralisée est susceptible de conduire à une situation très inefficace, peu propice à l’organisation du temps libre, et à la gestion des contraintes familiales. C’est vraisemblablement dans ce domaine que l’intervention publique est particulièrement souhaitable, et doit jouer un rôle de coordination. En outre, les gains de l’annualisation en matière d’emploi sont très mal connus. Les coûts sociaux ne le sont pas davantage. Il n’est pas du tout évident que des contraintes plus rigoureuses sur la durée du travail ayant pour contrepartie un relâchement de celles portant sur la flexibilité des horaires aient un impact positif, en termes d’emploi comme de bien-être. Dans cette perspective, les réflexions menées en Allemagne (Burda, 2000) sur le problème de la dérégulation des horaires du commerce de détail peuvent constituer des pistes intéressantes pour mieux appréhender les conséquences d’un tel arbitrage. Burda montre en effet que les emplois gagnés par une flexibilité accrue des horaires peuvent avoir pour contrepartie une très forte dégradation de la qualité de vie qui remet en cause l’efficacité de la dérégulation des heures.

Le problème des conséquences sur les inégalités

Les effets de la loi Aubry sur la répartition des revenus sont difficiles à appréhender. La loi Aubry est financée par la taxe sur les tabacs, la taxe générale sur les activités polluantes, et la nouvelle contribution sociale sur les bénéfices (5). L’incidence fiscale d’un tel mode de financement est loin d’être évidente. En outre, si la compensation salariale s’avère très importante, les exonérations de charges patronales liées à la loi Aubry (c’est-à-dire s’ajoutant aux allègements existants préalablement) serviront essentiellement à financer la réduction de la durée du travail et constitueront donc un transfert finançant le gain de temps libre des salariés occupant des emplois à temps plein, dans de grandes entreprises où les salaires sont plus élevés, où la protection des travailleurs est mieux assurée, et où la compensation salariale doit être plus importante. Dans ce contexte, la RTT risque fort d’accroître les inégalités.

1 : La formation des salaires est généralement représentée par une courbe de Phillips qui postule une relation décroissante entre le taux de croissance des salaires et le taux de chômage.
2 : Les détails des calculs sont inutiles.
3 : Ce qui est très optimiste : l’étude de Gianella et Lagarde (1999), réalisée sur données françaises, ne trouve pas de gains de productivité liés à une baisse des horaires.
4 : Le biais de sélection est lié au fait que les entreprises les plus dynamiques, qui anticipent d’embaucher, ont intérêt à signer des accords Robien pour bénéficier des subventions.
5 : Le 13 janvier 2000, le Conseil constitutionnel a annulé une taxe de 10 % sur les heures supplémentaires dans les entreprises de plus de vingt salariés n’ayant pas conclu d’accord sur les 35 heures. Le produit de cette taxe devait participer au financement d’allègements de charges sociales. Le 29 décembre 2000, le Conseil constitutionnel a jugé inconstitutionel l’extension de la TGAP (Taxe générale sur les activités polluantes, dite écotaxe) à la consommation d’énergie des entreprises. Cet élargissement était destiné au financement des 35 heures.

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