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La Fontaine : Le Jardinier et son Seigneur

jeudi 4 février 2010

Avec Le jardinier et son seigneur, Jean de la Fontaine nous livre une fable instructive, qui est tant une critique de l’interventionnisme public que de la volonté des hommes de chercher l’aide publique au lieu de réfléchir aux solutions qu’ils peuvent eux-même mettre en place :

Le texte intégral :

Un amateur de jardinage,

Demi-bourgeois, demi-manant,

Possédait en certain village

Un jardin assez propre, et le clos attenant.

Il avait de plant vif fermé cette étendue.

Là croissait à plaisir l’oseille et la laitue,

De quoi faire à Margot pour sa fête un bouquet,

Peu de jasmin d’Espagne, et force serpolet.

Cette félicité par un lièvre troublée

Fit qu’au seigneur du bourg notre homme se plaignit :

« Ce maudit animal vient prendre sa goulée

Soir et matin, dit-il, et des pièges se rit ;

Les pierres, les bâtons y perdent leur crédit :

Il est sorcier, je crois. - Sorcier ? je l’en défie,

Repartit le seigneur : fut-il diable, Miraut,

En dépit de ses tours, l’attrapera bientôt.

Je vous en déferai, bon homme, sur ma vie.

- Et quand ? - Et dès demain, sans tarder plus longtemps. »

La partie ainsi faite, il vient avec ses gens.

« Cà, déjeunons, dit-il : vos poulets sont-ils tendres ?

La fille du logis, qu’on vous voie, approchez.

Quand la marierons-nous, quand aurons-nous des gendres ?

Bon homme, c’est ce coup qu’il faut ; vous m’entendez,

Qu’il faut fouiller à l’escarcelle. »

Disant ces mots, il fait connaissance avec elle,

Auprès de lui la fait asseoir,

Prend une main, un bras, lève un coin du mouchoir,

Toutes sottises dont la belle

Se défend avec grand respect ;

Tant qu’au père la fin cela devient suspect.

Cependant on fricasse, on se rue en cuisine :

" De quand sont vos jambons ? ils ont fort bonne mine.

- Monsieur, ils sont à vous. - Vraiment, dit le Seigneur,

Je les reçois, et de bon coeur."

Il déjeune très bien ; aussi fait sa famille,

Chiens, chevaux, et valets, tous gens bien endentés ;

Il commande chez l’hôte, y prend des libertés,

Boit son vin, caresse sa fille.

L’embarras des chasseurs succède au déjeuné.

Chacun s’anime et se prépare :

Les trompes et les cors font un tel tintamarre

Que le bon homme est étonné.

Le pis fut que l’on mit en piteux équipage

Le pauvre potager : adieu planches, carreaux ;

Adieu chicorée et porreaux ;

Adieu de quoi mettre au potage.

Le lièvre était gîté dessous un maître chou,

On le quête, on le lance : il s’enfuit par un trou,

Non pas trou, mais trouée, horrible et large plaie

Que l’on fit à la pauvre haie

Par ordre du seigneur ; car il eût été mal

Qu’on n’eût pu du jardin sortir tout à cheval.

Le bon homme disait : "Ce sont là jeux de prince."

Mais on le laissait dire ; et les chiens et les gens

Firent plus de dégâts en une heure de temps

Que n’en auraient fait en cent ans

Tous les lièvres de la province.

Petits princes, videz vos débats entre vous ;

De recourir aux rois vous seriez de grands fous.

Il ne les faut jamais engager dans vos guerres,

Ni les faire entrer sur vos terres.


Image : Gravure de Jean-Baptiste Oudry, libre de droits, reprise du site http://www.lafontaine.net/

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