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Les fausses gloires de France : Clemenceau

vendredi 7 décembre 2007

Clemenceau, le "Tigre" de papier

Que proposait Clemenceau à l’encontre de ceux qu’il combattait ? Ferry, c’est l’école publique et un empire colonial. Le seul rôle de Clemenceau fut de populariser le surnom de "Ferry-Tonkin", sur la foi d’un pseudo-désastre annoncé par une fausse dépêche. Combes, c’est la séparation de l’Eglise et de l’Etat, une idée à laquelle Clemenceau était très attaché. Pourtant, son unique rôle aura été d’organiser la chute du ministère Combes, pour que la loi - où il n’avait pas joué "un rôle essentile" (d’après Jean-Baptiste Duroselle) - fût adoptée par Briand, qu’il n’aimait d’ailleurs pas davantage.
Lorsque l’archiduc François-Ferdinand est assassiné à Sarajevo, la terrible mécanique guerrière des alliances, imaginée par Delcassé, se met en place. Clemenceau, lui, écrit : "Dans le redoutable champ de contestation toujours renaissantes, la personne de François-Joseph est une garantie de paix". "En d’autres termes, note Françoise Giroud, il n’a rien vu venir". Dommage, parce que c’est, précisément, s’il avait "vu venir" qu’il aurait été grand, et, en tout cas, différent.

Les biographes de Clemenceau, comme Jean-Baptiste Duroselle, aussi bien que ceux qu’il inspire, comme Françoise Giroud, parsèment leurs livres de remarques dubitatives sur l’oeuvre politique du grand homme. Ils y cherchent, en vain, le "grand dessein". Voici ce qu’en dit Duroselle : "On remarquera le peu d’intérêt de Clemenceau pour les problèmes économiques et financiers. Il critique la politique des emprunts russes, perçoit les effets du dépeuplement français sur la richesse et la puissance de la nation, dénonce quelques scandales et injustices, et finalement c’est tout." Et voici ce que souligne Françoise Giroud, visiblement plus séduite par son tempérament - "Toute ma vie, j’ai été amoureux" - que par son action politique : "Quand on observe le bilan social de son gouvernement, on est frappé par sa maigreur (sic), tant il est vrai qu’il ne suffit pas d’être au pouvoir pour l’exercer." En bref, Clemenceau n’avait aucune idée. Entre 1875 et 1914, la République a édifié un ensemble juridique sur lequel nous vivons encore : il ne doit rien au "Tigre".

A l’Assemblée en 1918, il annonce la signature de l’armistice de Rethondes

Peut-être que la clef de l’histoire se trouve dans sa fameuse apostrophe - "Je vote pour le plus bête" - lancée lors de l’élection de Sadi Carnot à la présidence de la République. Un mot qui lui reviendra en boomerang lorsqu’il sera battu par Paul Deschanel, en 1920.

Un ministre quelconque

Commencée tard (il avait déjà 65 ans lorsqu’il fut ministre pour la première fois), la carrière ministérielle de Georges Clemenceau, jusqu’à la veille de la guerre, n’eut rien d’exceptionnel. Elle fut marquée par des répressions sévères à l’encontre des grévistes (Draveil, 1908), ce qui se justifiait peut-être sur le moment mais n’avait rien de glorieux pour un homme qui avait commencé sa carrière politique sous l’étiquette de "blanquiste", et qui s’était battu jadis pour l’amnistie des communards.

Il finassa lorsque les vignerons du Midi se révoltèrent. Françoise Giroud cite comme un trait d’humanité le fait que Clemenceau ait payé le billet du retour au malheureux Marcellin Albert, le meneur venu à Paris plaider la cause de la viticulture ruinée par le phylloxera. La vérité est tout autre. Vieille ficelle, Clemenceau abusera de la naïveté du vigneron et fera répandre partout le bruit qu’il l’a acheté, et pour pas cher. La calomnie fut efficace. Justifie-t-elle une quelconque admiration ?

A une beaucoup plus grande échelle, le procédé sera repris pendant la guerre contre Joseph Caillaux. On forgera de toute pièce des accusations pour le discréditer, au nom de la "raison d’Etat". "Pas vous, pas ça" aurait-on pu lancer à l’encontre de Clemenceau, qui avait si bien bataillé contre ladite "raison d’Etat" au moment de l’Affaire Dreyfus. En fait, comme la plupart des matamores, Clemenceau cachait sous son côté fort en gueule une absence absolue de vraie conviction. Pour se rattraper de n’être, somme toute, guère différent des opportunistes qu’il stagmatisait à longueur de journée, il donnera des gages.
Surtout dans un domaine qui ne "mangeait pas de pain" : la politique religieuse. Un jour, il accusera Combes d’être "mou" (!) face au Vatican. Un autre jour, il refusera d’aller au Te Deum de la victoire à Notre-Dame, alors que, pour ce jour-là au moins, la France entière attendait un geste de réconciliation nationale. Poincaré, qui le détestait mais qui faisait la part des choses, résumera fort bien le problème : "Clemenceau, connaissant fort mal beaucoup de grandes questions, et pas du tout les dossiers, se fait des opinions rapides et irréfléchies, comme il lui est arrivé toute sa vie". C’est une méthode de gouverner comme une autre. Elle est trop banale pour mériter quelque gloire que ce soit.

Là où il a vraiment innové

A cent ans de distance, on mesure mieux le seul domaine où Georges Clemenceau fut un authentique innovateur. De Panama (1891-1893) à Urba, pour chaque scandale politico-financier, les justifications sont demeurées les mêmes. Ce sont celles qu’utilisa le pionnier Clemenceau. A l’époque, Bernard Tapie s’appelait Cornélius Herz. Un chevalier d’industrie qui aimait faire plaisir à ses amis en politique. Cornélius financera le journal de Clemenceau. Ce qui donnera à ce dernier l’argument toujours en vigueur sous le nom de "jurisprudence Emmanuelli" : "Ce n’était pas pour moi, mais pour financer mon activité politique". Tous les chéquards de Panama auront la même justification. A peu près tous retrouveront leur siège lors des élections de 1893, sauf Clemenceau. Peut-être n’était-il pas assez mouillé. Il lui avait manqué d’épouser, comme cela a failli se faire, la fille de Scheurer-Kestner, qui lui préféra Charles Floquet, un parlementaire qui figure en tête des bénéficiaires de Cornélius Herz. Et dont le nom adorne une des rues les plus élégantes de la capitale.

Un franc salaud

A défaut d’épouser Hortense Scheurer-Kestner, Clemenceau se replia sur une Américaine, Mary Plummer. Lorsqu’elle le lassa, il monta de toutes pièces une affaire d’adultère, lui qui la trompait effrontément. Il joua de toutes ses amitiés politico-juridiques pour obtenir un divorce accéléré et la faire renvoyer aux Etats-Unis. On s’étonne que, réputée sensible à la cause des femmes, Françoise Giroud n’ait pas éprouvé davantage de compassion pour cette malheureuse Mary. "Je reconnais que cet épisode n’est pas glorieux. Mais que faire ? Il lui ressemble", écrit-elle. Voilà une défausse qui accable et l’auteur et le personnage. Décidément, l’amour rend aveugle. C’est d’ailleurs ce qu’avait dû se dire la pauvre Mary Plummer en son temps.

Des "bons mots" qui laissent rêveur

Clemenceau passe pour fort spirituel. Qu’on en juge. A propos de son secrétaire, Georges Mandel : "Quand je pète, c’est lui qui pue". Rires. Un quatrain à Anna de Noailles : "De bons oeufs à la coque / Voici belle coquette / Etant un très bon coq / Puis-je être la moulinette ?" Triomphe de l’esprit gaulois, sans doute.
Quand la vulgarité pure et simple n’est pas au rendez-vous, c’est pire. Sur le vote des femmes, ce progressiste a des remarques d’une rare vacuité : "La force détermine l’action de ce monde. La femme n’est pas la force". Sa formule la plus fameuse, "la Révolution est un bloc", n’est pas seulement une sottise historique, c’est aussi un témoignage accablant contre celui qui l’a proférée. D’abord parce que la phrase a été prononcée à l’occasion d’un débat parlementaire qui n’honore guère la représentation nationale : celui où fut votée l’interdiction pure et simple d’une pièce de Sardou, coupable de dénoncer la Terreur. De la censure pure et simple. Du politiquement correct d’Etat avant l’heure. Ensuite parce que cette formule nous rappelle que, en bon vendéen "bleu", Clemenceau aimait beaucoup Robespierre. Il y a des attachements plus sympathiques.

La victoire était au rendez-vous

1917 constitue le morceau de bravoure des clemencistes. Peu importe ce qu’il fut auparavant : le grand homme est venu et il a vaincu. Une armée enlisée, un pays démoralisé, des hommes politiques désabusés ? Un coup de barre sous la poigne de Clemenceau, et ça repart.
En fait, Clemenceau arrive très tard au pouvoir, le 16 novembre 1917. Sa première visite sur le front date du 20 janvier 1918. Le première victoire de la Marne, en 1914, ne doit rien au président du Conseil de l’époque (Viviani), pourquoi diable la seconde, en 1918, devrait-elle tout à Clemenceau ? En 1914, il y avait Joffre. En 1918, Foch. Et beaucoup de malheureux prêts à se faire tuer. C’est plus comme symbole physique d’un pays increvable que comme organisateur de la victoire que Clemenceau mérite de rester dans les mémoires. En cas de malheur, les Français aiment les vieux messieurs encore très verts : Clemenceau, Pétain, de Gaulle.

Une bonne façon de relativiser le rôle des grands hommes, en mesurant leur véritable marge de manoeuvre. Pétain ou pas, il y aurait eu l’armistice de 1940. De Gaulle ou pas, l’Algérie serait indépendante aujourd’hui. Qui peut penser le contraire ? N’habillons pas Clemenceau d’un costume trop ample. Il n’est pas plus responsable de la victoire militaire de 1918 que de la défaite diplomatique de 1919.

A t-il empêché que la guerre ne s’arrête sur un compromis ? Le dossier sur les possibilités d’une paix négociée en 1917 est très mince. L’Allemagne n’était d’aucune façon décidée à restituer l’Alsace-Lorraine, ce qui était un but de guerre intangible pour la France. L’un des deux camps devait donc gagner ou perdre. En revanche, c’est beaucoup s’illusionner sur les pouvoirs d’un seul homme que d’imaginer Clemenceau capable de s’opposer aux conclusions des traités de paix. D’innombrables témoignages montrent qu’il en vit les faiblesses. Ce n’est déjà pas si mal. Pouvait-il faire plus ? Il souhaitait une incursion en Allemagne, mais il eût fallu pour cela commencer par déclarer la guerre à la Grande-Bretagne. Ce n’était peut-être pas à sa portée.

Finis Austriae

De la même façon, on lui reproche la destruction de l’Autriche-Hongrie. L’historien Pierre Pérard cite avec faveur Poincaré : "L’intérêt de la France est non seulement de maintenir l’Autriche, mais de l’agrandir au détriment de l’Allemagne". Pour conclure : "On sait que Clemenceau en jugea autrement. La tradition idéologique radicale à laquelle il appartenait exigeait l’anéantissement de l’Etat multinational et ultramontain qu’était la monarchie habsbourgeoise". Clemenceau admettra ses propres limites en faisant remarquer que, à partir du moment où était reconnu le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, il y avait peu de chances pour que la confédération danubienne puisse se maintenir. D’autant que, à bon droit, toute la tradition politique française souhaitait une renaissance de la Pologne, donc le démantèlement d’une partie importante de l’Autriche-Hongrie. Plus mesuré, François Fejtö rappelle, dans Requiem pour un empire défunt, que la destruction de l’Autriche-Hongrie s’est décidée entre Petersbourg et Longres, Paris ne faisant que suivre. Il régnait alors en Europe, note Fejtö, une "austrophobie générale" que surent utiliser deux propagandistes de génie, Bénès et Masarik. Rendons-leur ce qui leur est dû.

Ce qui reste

De cette façon, ceux qui ont une vue superficielle de Clemenceau, comme ceux qui ont consacré leur vie à l’étudier, se rejoignent dans l’inanité des raisons qui les ont conduits à le choisir comme figure de proue. "Pourquoi Clemenceau ? Pour rien. Parce qu’il me plaît", décide Françoise Giroud. En quoi sommes-nous en présence d’un "grand homme" ? s’interroge Jean-Baptiste Duroselle. Qui répond : "Ceci tient en un mot : le caractère." C’est déjà pas mal, mais ce n’est pas tout à fait suffisant. Et Duroselle d’en appeler alors aux pages qu’Henri Bergson a écrites sur ce qu’il a appelé "l’appel du héros". Bergson ? Holà !

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