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De la dette à la Lune

dimanche 7 février 2010

Dans Le Monde du 7-8 février 2010, le journaliste Pierre-Antoine Delhommais, aux analyses souvent très pertinentes, revient sur la crise financière qui a frappé l’économie mondiale :

Barack Obama a annoncé l’abandon du projet Constellation, qui prévoyait le retour sur la Lune en 2010, avant l’organisation d’un grand voyage sur Mars. Trop cher. La Maison Blanche sacrifie les lancements de fusée, à défaut d’arrêter les tirs de missiles. Sans tomber dans le peace and love, il est permis de remarquer que le Prix Nobel de la paix Barack Obama consacrera cette année 708 milliards de dollars aux dépenses militaires, à peu près autant que tout l’argent du plan de sauvetage historique du système bancaire américain (TARP). Comme quoi, la folie des hommes ne se manifeste pas uniquement chez les traders.

Adieu, donc, la découverte du système solaire, retour sur terre. Après objectif Lune, c’est objectif réduction des déficits, ce qui n’est pas moins ambitieux ni moins périlleux.

Les malheurs de la Grèce ont largement contribué à ce revirement stratégique. Aux Etats-Unis et en Europe, les gouvernements se berçaient, il y a peu de temps encore, d’illusions budgétaires. Après tout, rêvaient-ils, la détérioration de nos finances publiques n’est pas si catastrophique que ça puisque l’appétit des grands investisseurs internationaux, ceux qui gèrent l’épargne mondiale, est insatiable.

Nous allons donc pouvoir les gaver de nos milliers de milliards de dollars d’obligations du Trésor, même si elles sont un peu pourries. Le rejet brutal de la dette grecque a démontré que l’estomac des marchés, si solide soit-il, n’accepte pas n’importe quoi.

Aujourd’hui, tous les pays en situation de surendettement redoutent de subir le même sort qu’Athènes : défiance généralisée, envolée des taux d’intérêt, asphyxie financière. Pour tenter d’y échapper s’il est encore temps, les gouvernements se lancent dans une surenchère de rigueur et d’assainissement des finances publiques.

C’est à qui promet de réduire son déficit plus vite et plus fort que le voisin. C’est à qui présentera le plus programme d’austérité le plus impressionnant. Un vrai et beau concours international de vertu budgétaire.

Les Portugais bloquent les salaires des fonctionnaires, renoncent à la construction d’un nouvel aéroport et de liaisons ferroviaires avec l’Espagne tandis qu’à Madrid, José Luis Zapatero annonce 50 milliards d’euros d’économies d’ici 2013, le gel des recrutements dans la fonction publique et une réforme du système de retraites qui devrait faire passer l’âge légal de départ de 65 à 67 ans.

A Paris, on promet... la lune ! Une baisse de 5,2 points de PIB du déficit en trois ans, soit une centaine de milliards d’euros. Un effort sans précédent, fondé sur des hypothèses de croissance optimistes (2,5 % de hausse du PIB) et qui permettrait à la dette publique de se stabiliser tout juste sous la barre des 90 % dans les prochaines années.

Ce qui tombe bien, car 90 % du PIB, c’est précisément le seuil au-dessus duquel, selon les conclusions d’une étude publiée par les économistes américains Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart, l’endettement d’un Etat produit des effets catastrophiques sur la croissance.

M. Rogoff et Mme Reinhart ont analysé dans 44 pays, de façon empirique et sur longue période, les liens entre hausse du PIB et niveaux d’endettement public. Aucune idéologie là-dedans, juste des faits. Les voici.

Au cours des deux derniers siècles, lorsque dans un pays la dette publique a été supérieure à 90 % du PIB, la croissance y a été en moyenne de 1,7 %, contre 3,7 % quand le ratio d’endettement était inférieur à 30 %, et 3 % quand il était compris entre 30 % et 90 %.

En France, entre 1880 et 2009, le PIB a progressé en moyenne de 4 % quand le ratio d’endettement public était inférieur à 30 % ; de 2,75 % quand il était compris entre 30 % et 90 % ; de 1,9 % seulement quand le niveau de dette dépassait 90 %.

Le résultat le plus spectaculaire est observé aux Etats-Unis pour la période 1790-2009. Quand la dette publique américaine a excédé 90 %, le PIB a reculé de 1,8 %, alors qu’il a progressé de 4 % quand le niveau d’endettement était inférieur à 30 %.

Au milieu du XVIIIe siècle, Jean-François Melon (1675-1738), secrétaire de John Law (1671-1729), avait établi un théorème séduisant selon lequel "un Etat ne peut jamais être affaibli par ses dettes, parce que les intérêts sont payés de la main droite à la main gauche".

L’Etat reversant d’un côté au peuple ce qu’il lui prenait de l’autre, sa dette étant du coup neutre et indolore. Adam Smith avait déjà vivement contesté ce principe, les travaux de Rogoff et Reinhart confirment qu’un endettement public excessif nuit gravement à la santé de l’économie.

Effrayés par ce qui vient de se passer à Athènes, tous les Etats s’engagent à revenir au plus vite à un mode de vie budgétaire sain et équilibré. Reste à tenir ces promesses. En Grèce, les agents du fisc, plutôt que de faire revenir dans les caisses de l’Etat l’argent de la fraude, sport national, ont commencé des débrayages pour protester contre les mesures d’austérité.

Les gouvernements vont en même temps devoir convaincre des opinions publiques à cran de la nécessité de réduire les dépenses publiques et rassurer des marchés hypernerveux sur leur capacité à le faire. C’est sûrement beaucoup plus facile d’aller sur la Lune et sur Mars.


- Article paru initialement dans Le Monde des 7-8 f

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