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Roman Bernard : Ce qu’on doit à Frédéric Bastiat

jeudi 11 février 2010

À propos de Pamphlets de Frédéric Bastiat paru aux éditions Les Belles Lettres, 2009, coll Bibliothèque classique de la liberté dirigée par Alain Laurent.

Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas ou l’Économie politique en une leçon (1850).

On sait depuis Luc et Matthieu que nul n’est prophète en son pays. Méconnu en France, l’économiste libéral Frédéric Bastiat (1801-1850) fut assez prophétique pour inspirer des penseurs aussi illustres que Friedrich Hayek ou Milton Friedman. Ronald Reagan décrivait ce Landais de naissance comme son « économiste préféré ». Quant à Margaret Thatcher, elle louait l’« élégance », la « puissance » du message de Frédéric Bastiat, « de tous les temps ».

Plus récemment, en janvier 2009, le président tchèque, très libéral et très anti-européiste à la fois, citait, alors que son pays prenait la présidence tournante du Conseil européen, la fameuse satire de Frédéric Bastiat sur les marchands de chandelle, où il faisait demander à ces derniers une interdiction des fenêtres pour faire cesser la concurrence déloyale imposée par… le soleil.

Vaclav Klaus a dû essuyer les sifflets des eurodéputés devant lesquels il s’exprimait. Parmi eux, des Français, dont il y a fort à parier qu’ils découvraient ainsi leur défunt compatriote.

Il se pourrait toutefois que Bastiat soit de retour dans la terre qui l’a vu naître. En 2004 déjà, le livre L’État c’est toi ! remettait la pensée de Bastiat à l’honneur. L’an dernier, les Belles Lettres (cf. couverture) éditaient les pamphlets du publiciste, préfacés par son spécialiste, l’universitaire Michel Leter. Le même Michel Leter, dans la foulée de la création du Centre d’études du libéralisme francophone (Celf), publiait la correspondance de Bastiat avec Victor Calmètes entre 1819 et 1822. Ce mois-ci, enfin, sort le premier des sept volumes de ses œuvres complètes aux éditions Charles Coquelin. Claude-Frédéric Bastiat revient à la mode [1].

Dans l’ordre politique, l’époque ne semble pourtant pas aux politiques reaganienne et thatcherienne, qui s’inspiraient pour partie des préceptes de Frédéric Bastiat. Aux Etats-Unis, le président Barack Obama mène une politique socialisante, tandis que le successeur de Tony Blair au 10, Downing Street, Gordon Brown, se cramponne à l’héritage social-démocrate de son prédécesseur. Inutile de dire que ce n’est guère Nicolas Sarkozy, avec sa politique d’endettement public et de « relance » massifs conseillée par le jacobin Henri Guaino, qui va remettre à l’ordre du jour les principes d’économie politique du pamphlétaire bayonnais.

Les gouvernants français devraient au moins se donner la peine de les lire. Dans une langue d’une clarté, d’une précision et d’un raffinement rarement égalés chez les économistes, Bastiat s’attaque à tous les sophismes socialistes, étatistes et protectionnistes de son temps.

Dans son pamphlet le plus célèbre, Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, sur lequel se termine le recueil de pamphlets des Belles Lettres, Bastiat, en catholique averti, commence par une parabole : la vitre cassée. Si une vitre est cassée par un mauvais plaisant, il s’en trouvera toujours un autre pour saluer le surcroît d’activité que cela procurera au vitrier, lequel achètera à son tour les services d’un autre artisan, et ainsi de suite. Cette « relance » de l’économie induite par le bris de la vitre, c’est ce qu’on voit. Ce qu’on ne voit pas, cependant, c’est que le propriétaire de la maison vandalisée aurait pu allouer la somme donnée au vitrier à autre chose. Ainsi, il n’y aura pas plus de « relance » de l’économie avec le bris de la vitre que sans. En revanche, il y aura eu une perte nette dans le premier cas : la valeur de la vitre.

Comment une idée si simple, si évidente, peut-elle être méconnue par les politiques qui, dès que l’industrie automobile se porte mal, imaginent des primes de reprise de voiture pour la « relancer » ? Ce qu’on voit, c’est le garnissement des carnets de commande de Renault et de Peugeot. Ce qu’on ne voit pas, c’est le manque à gagner pour d’autres secteurs économiques.

Et ce qu’on ne voit pas non plus, c’est que des autos en parfait état de marche sont détruites.

À partir de cette parabole et de la leçon qu’il convient d’en tirer (l’existence de « coûts cachés »), Bastiat va déconstruire toutes les idées reçues qui ont cours lors de la brève Deuxième République, dominée par les idées socialistes. En sa qualité de parlementaire, Bastiat dénonce par exemple les hommes politiques qui prétendent favoriser l’intérêt général en votant le financement public des théâtres, dont il remarque qu’en sus d’être dotés d’un argent qui aurait pu être alloué à des théâtres privés, si l’on avait osé compter sur le goût des citoyens pour l’art dramatique, ils sont souvent beaucoup moins prisés que ces derniers.

Toute ressemblance avec le financement public de l’« exception culturelle française », si exceptionnelle qu’elle coïncide étrangement avec la mort de la culture française, serait bien sûr purement fortuite. Toute analogie avec le fait que les rares Français encore épris de culture préfèrent le cinéma américain privé au cinéma français public serait également pur hasard.

Dans une note reproduite par les Belles Lettres, Bastiat résume sa pensée ainsi : « Si toutes les conséquences d’une action retombaient sur son auteur, notre éducation serait prompte. Mais il n’en est pas ainsi. Quelquefois les bonnes conséquences visibles sont pour nous, et les mauvaises conséquences invisibles sont pour autrui, ce qui nous les rend plus invisibles encore. Il faut alors attendre que la réaction vienne de ceux qui ont à supporter les mauvaises conséquences de l’acte. C’est quelquefois fort long, [et] prolonge le règne de l’erreur. » [2]

Ce qu’on doit à Frédéric Bastiat, c’est donc d’avoir, dans une forme accessible à tous, donné les outils intellectuels pour démasquer tous les sophistes qui veulent faire passer leur désir d’enrichissement et leur volonté de puissance pour des motivations humanistes désintéressées.

Comme disent les journalistes, force est de constater que Bastiat n’a pas vraiment été entendu. Aujourd’hui, ce n’est plus l’émancipation du prolétariat, mais la sauvegarde de la planète qui sert d’alibi moral aux insatiables appétits financiers des escrocs du GIEC.
Dès lors, comment faire entendre raison aux rares décideurs politiques et économiques de bonne volonté ? Comment leur faire comprendre que leurs « plans de relance » et autres « grands emprunts » sont non seulement inefficaces, mais encore néfastes à l’économie ?

La tentation de la défaite superbe n’est pas loin de saisir le nanocosme libéral français. Si Bastiat n’a pas été entendu, c’est qu’il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Si les préconisations de bon sens de Bastiat ne sont toujours pas appliquées, ce n’est en aucune manière parce que ces préconisations présenteraient un vice interne de fabrication.

Le « compagnon de route du libéralisme », plus soucieux d’efficacité politique que de purisme doctrinal, ne saurait se satisfaire de cette délectation morose des milieux libéraux. Si les idées de Bastiat sont méconnues en France, c’est également parce que la copie est à revoir.

Comme l’avait remarqué Jean-Jacques Rosa [3], la pensée de Bastiat est essentiellement rationaliste. Porté par la foi en la Raison qui animait son époque (et la franc-maçonnerie à laquelle il appartenait, en dépit de sa ferveur catholique), Bastiat croyait, naïvement selon Rosa, qu’il suffirait que les marchands de sophismes soient chassés du Temple de la liberté pour qu’enfin éclate la Vérité libérale. Bastiat méconnaissait du même coup le caractère profondément irrationnel de la nature humaine, qui préfère se laisser séduire par des idées manifestement mortifères que par des idées rationnelles et humanistes. Comment Bastiat, mort prématurément et né assurément trop tôt pour assister à la victoire des totalitarismes au XXe siècle, aurait-il pu expliquer que les islamistes triompheraient des libéraux, dans l’Iran de 1979 ? Que les fantassins de la Régression qu’étaient les bolcheviks ou les SA pourraient défaire sans coup férir leurs adversaires libéraux, humanistes et respectueux des institutions ?

La question est dès lors de savoir comment les idées libérales, dont l’auteur de ces lignes pense qu’elles doivent être réaffirmées, peuvent rencontrer l’adhésion des citoyens français, européens et occidentaux. Leurs préoccupations étant de plus en plus d’ordre identitaire, et la subversion des sociétés occidentales menée au nom de l’islam menaçant directement leurs libertés, il semble qu’il existe une chance historique d’une synthèse victorieuse des idées libérales et conservatrices, pour une double défense de la liberté et de l’identité de l’Occident.

Les libéraux saisiront-ils cette chance, ou préféreront-ils se complaire dans l’impuissance ?

Source : Stalker. Auteur : Criticus


Voir en ligne : Ce qu


Texte de Roman Bernard, publi


[1Jean-Jacques Rosa, Bastiat : illusions et désillusions libérales, in Commentaire (printemps 2005, Vol. 28, n° 109), pp. 258-260.

[2Frédéric Bastiat, Pamphlets (Éditions Les Belles Lettres, Bibliothèque classique de la liberté, 2009), p. 395.

[3Voir article cité.

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