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Le PCF voulait-il prendre le pouvoir à la Libération ?

lundi 31 mars 2008

Oui selon Stéphane Courtois

Pendant des décennies, les communistes français ont affirmé que le PCF avait eu à la Libération une politique légaliste et républicaine, se soumettant à l’autorité du général de Gaulle. Or nos communistes n’avaient à aucun moment abandonné la doctrine léniniste, prônant l’instauration d’un pouvoir révolutionnaire, et ils n’avaient pas l’habitude d’annoncer urbi et orbi leurs intentions réelles. Dès 1980 (Le PCF dans la guerre) , j’ai montré que le PCF avait mené en façade une politique d’alliance avec de Gaulle et, au fond, une politique de rupture, visant à écarter de Gaulle et à s’emparer du pouvoir. Ce point de vue a été confirmé par Philippe Buton dans Les lendemains qui déchantent (1993, Presses de la FNSP), où il montre comment, dès 1943, le PCF organisa le contrôle des instances locales et nationales de résistance : politiques (comités locaux et départementaux de libération ; Conseil national de la résistance, Mur) et militaires (FTP, milices patriotiques, FFL, Comac). Le PCF déclencha d’abord une « insurrection nationale » qui, de juin à août 1944, ne rencontra qu’un succès limité. Une fois de Gaulle installé à Paris, le PCF organisa un contre-pouvoir à travers les CDL et les CLL - les 7 et 8 octobre 1944, à Avignon, 37 CDL de zone Sud prétendaient instaurer leur propre légalité révolutionnaire - et un contre-pouvoir social grâce à des comités de gestion qui expulsèrent des patrons (comme chez Renault) et contrôlèrent les entreprises.

Depuis 1992, les archives de Moscou renforcent l’analyse de Philippe Buton, avec des documents qui émanent du coeur même du système communiste mondial : les sténogrammes de deux entretiens au Kremlin, entre Staline et Maurice Thorez qui vient prendre « les conseils et les directives ». Lors du premier entretien, le 19 novembre 1944, Staline explique qu’« il lui semble que les communistes français n’ont pas encore compris que la situation a changé en France ». Les communistes n’en tiennent pas compte et continuent à suivre l’ancienne ligne. Une fois la situation devenue favorable à de Gaulle, il faut opérer un tournant. Le PC n’est pas assez fort pour pouvoir frapper le gouvernement à la tête (texte intégral in Communisme , n° 45-46, 1996, p. 7-30). Pour Staline, il faut « transformer les organisations armées (contrôlées par le PCF) en une autre organisation » (camouflage traditionnel chez les communistes). Quant aux armes, « il faut les cacher ». Pour quel usage ultérieur ? Curieuse conception de la légalité républicaine... Staline désigne de Gaulle comme l’ennemi principal du PCF. Rentré en France quelques jours plus tard, Thorez appliqua à la lettre cette politique, et quand, en janvier 1946, de Gaulle fut acculé à la démission, Marcel Cachin, chef historique du PCF, nota dans son carnet : « De Gaulle démissionne. Journée historique. Nous avons eu de Gaulle sans effrayer la population. »

Lors du second entretien avec Staline, le 18 novembre 1947, Thorez évoque le fait que le PCF n’a pu s’emparer du pouvoir à la Libération. Staline répond que « le tableau aurait été tout autre, bien sûr, si l’Armée rouge avait été en France », ajoutant : « Si Churchill avait encore retardé d’un an l’ouverture du deuxième front dans le nord de la France, l’Armée rouge serait allée jusqu’en France. [...] Nous avions l’idée d’arriver jusqu’à Paris. » Et Thorez d’enchaîner que « le peuple français aurait accueilli l’Armée rouge avec enthousiasme » et que « alors, de Gaulle n’existerait pas » (texte intégral in Communisme , n° 45-46, p. 31-54).

En dépit de tous leurs discours patriotiques, les dirigeants communistes français rêvaient de prendre le pouvoir et de faire de la France la huitième « démocratie populaire ». Seule la fermeté du général de Gaulle et, surtout, la présence des armées anglaises et américaines les en ont empêchés.

Non selon Alexandre Adler

Le diplomate communiste Eugenio Reale, qui avait claqué la porte du PCI en 1956, publiait dès l’année suivante le compte rendu de la réunion secrète de Sklarszka Poremba, en Pologne, où avaient été décidé, à l’automne 1947, le changement complet de ligne stratégique vis-à-vis de l’Occident et la reformation d’un succédané de l’Internationale communiste (dissoute en 1943), le Kominform. Principaux accusés à cette réunion - d’où prudemment Thorez et Togliatti sont absents - les communistes occidentaux de la ligne « révisionniste et réformiste » que le délégué yougoslave Kardelj traite de « valets parlementaires ». Le PCI de Togliatti, pouvant gagner les élections générales du printemps 1948 en Italie, est un peu mieux traité que ne l’est le PCF, représenté par Jacques Duclos, que l’on accuse de suivisme face à de Gaulle et face à la social-démocratie, de faiblesse envers les Etats-Unis, et ce, depuis 1944.

Ce remue-ménage de l’automne 1947 indique clairement que la ligne d’entente nationale du PCF et du PCI n’était pas un artifice de rhétorique, mais une stratégie dûment pensée et mise en oeuvre, certes bien davantage par Togliatti que par Thorez, et concertée avec d’autres forces issues de l’Internationale communiste, alliées à un courant pragmatique de la direction stalinienne à Moscou.

A partir de 1943-1944, il devient clair en effet que l’Allemagne sera vaincue et que l’Urss sera, comme la Russie d’Alexandre Ier en 1815, l’arbitre de la paix européenne. Sachant la faiblesse économique et humaine du pays saigné à blanc, Beria, le chef de la sécurité d’Etat, et Malenkov, l’ancien secrétaire de Staline devenu patron de l’industrie aéronautique, prennent position en faveur d’un maintien de rapports négociés avec les Etats-Unis.

Cette stratégie, strictement soviétique au départ, fait parfaitement les affaires de la droite du mouvement communiste (Dimitrov, Togliatti et Kuusinen, ce dernier dirigeant les affaires finlandaises depuis Moscou) qui souhaite s’affranchir de la férule directe de Staline, au nom de la « démocratie populaire » et des voies nationales au socialisme. L’idée était d’assurer un départ rapide des Américains du continent européen, en maintenant, de Varsovie à Sofia, une façade semi-démocratique à l’Est (la démocratie populaire) tout en permettant aux grands partis occidentaux de plonger des racines profondes dans ces sociétés vulnérables à la propagande communiste.

Cette ligne « hégémonique », qui aurait fait basculer peu à peu les sociétés européennes vers un rapprochement avec Moscou, fut contrecarrée par trois facteurs décisifs et imprévus : la résolution anglo-américaine d’assurer le relèvement de l’Europe continentale, contrairement à ce qu’avait annoncé Beria ; mais aussi l’anticommunisme des peuples d’Europe de l’Est avec Tito, et l’hostilité d’un courant brièvement majoritaire de gauche communiste déjà « rouge-brun », incarné par les révolutions partisanes authentiques de Yougoslavie, d’Albanie et de Grèce, des cadres militaires durs en France et en Italie (Lecoeur, Secchia), et surtout l’aile la plus autoritaire du communisme soviétique derrière Jdanov. Jdanov, Tito et leurs amis voulaient-ils, eux, une stratégie plus offensive ? Oui et non. Jdanov voulait consolider au plus tôt l’emprise soviétique à l’Est, et il eût volontiers arrondi l’empire avec la Grèce du Nord et la Finlande. Au-delà, il était prêt à laisser les Anglo-Américains s’emparer de l’Ouest de l’Europe et à sacrifier ministres communistes à Paris et à Rome, agents d’influence dans la social-démocratie à Londres et à Berlin. Ils vouaient alors les communistes français à la gymnastique révolutionnaire, celle des grèves de 1947-1948. Non à la prise du pouvoir.

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