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Quelques réflexions éparses

Deux ou trois choses sur... l’écologie

samedi 27 octobre 2007

L’importance accordée à la technique issue de la science permet à Descartes d’annoncer une ambition ultime, qui est proprement celle de la modernité : maîtriser la nature, que l’homme dominerait totalement. Chez Descartes, il est vrai, cette ambition reçoit une nuance : la technique peut nous rendre "comme maîtres et possesseurs de la nature". Mais dès le XVIIIe, l’idéologie moderne se sécularise. La nuance cartésienne est oubliée, en même temps que l’importance de la religion en matière scientifique.

Alors se pose une question, la seule légitime d’ailleurs pour le sujet qui nous préoccupe : est-il légitime de concentrer toute l’attention sur l’homme, et n’y a-t-il pas là un oubli dangereux, un oubli de la nature. La raison humaine, telle que définie par les Lumières, et la révolution industrielle ont considérablement accru le processus d’assujettissement de la nature à l’homme. Michel Serres le souligne bien dans Le contrat naturel. Il est bien clair qu’il faut opposer deux conceptions radicalement opposées, comme le fait Luc Ferry dans Le nouvel ordre écologique :
1. d’une part l’environnement, ce qui, étymologiquement, environne l’espèce humaine. Cette définition n’est pas tautologique : c’est une vision anthropocentrique, conforme à l’esprit de notre civilisation occidentale dont la seule référence est l’homme.
2. D’autre part, l’écologie, qui appréhende l’être humain comme un organisme parmi des millions d’autres.

Pour les premiers, que nous appelerons environnementalistes, protéger la nature, c’est encore protéger l’homme dans la mesure où il s’agit de préserver la qualité de l’endroit dans lequel il vit. La nature est donc seconde par rapport à l’homme. Cette vision accepte le développement industriel et technique. Simplement, elle en souligne les limites et les dangers. Ce courant accuse donc les effets de la modernité, mais non la modernité elle-même.
Les écologistes, au contraire, rejettent les valeurs de la modernité : primat de l’homme, volonté technique et industrielle, idéologie du progrès par la raison. Il s’agit de penser la nature, "l’écosphère", comme la réalité suprême, à l’intérieur de laquelle l’homme ne serait qu’une espèce parmi d’autres. C’est ainsi que le mot écologie vient du grec Oikos, qui signifie la demeure. Ses valeurs sont supra-humanistes. Cette soumission de l’homme à la nature est parfois perçue comme un retour radical à l’ordre naturel, la magnification de la brutalité de la nature et de la sauvagerie. Les premières grandes lois de protection de la nature et des animaux sont celles inaugurées par le régime nazi. Une version moins haineuse promouvra le "droit des arbres", le "droit des animaux", sous-entendant que l’homme n’est pas le seul à avoir des droits, et qu’il est par essence limité par le droit des autres êtres, égaux en dignité. Mais à chaque fois il s’agira de montrer que l’homme n’est pas l’être le plus important sur terre, qu’il n’est qu’un parmi d’autres au sein de l’ordre naturel.

Ferry ne veut pas mettre à bas les valeurs de la modernité : il espère concilier le développement technique et économique et le souci de préserver l’environnement. De ce point de vue dit-il, la perspective de l’écologie qui accuse le développement technique (et non seulement ses effets) est plus qu’insatisfaisante, puisqu’elle revient à proscrire un développement qui fait, dans bien des pays, si cruellement défaut.
Malgré tout, cette perspective, pourtant ouvertement libérale, nous semble quelque peu insuffisante.

La pensée de Ferry est celle d’un utilitariste. Ferry milite en faveur d’un utilitarisme restreint : la nature ne doit être préservée que dans la mesure où elle est utile à l’homme. Ferry recroqueville la modernité sur elle-même : elle devient pour lui un simple processus, tournant à vide, prenant pour fin sa propre réalisation. Dans ces conditions toute interrogation sur les moyens - qui est précisément à l’origine de la contestation écologiste - prend nécessairement le visage d’une remise en cause radicale, puisque moyens et fins sont désormais confondus. La position de Ferry est typiquement religieuse : la modernité est un ordre révélé (par les Lumières), accompli (par la modernisation) et intangible (immuable dans son infinie perfectibilité).
Cette infériorisation de la nature trouve ses lointaines racines dans la Bible. Iahvé place l’homme au centre de sa création. Le monde est originairement donné comme un jardin appropriable, comme un tiers exclu entre Dieu et l’homme qu’il a créé à son image. La nature se vide du même coup de toute présence divine. Dans le monde purement profane, l’être humain occupe désormais ma place suprême. La sécularisation et la laïcisation progressive du dogme accoucheront ensuite de l’anthopocentrisme moderne.

Ce qui pose problème dans la pensée de Ferry, c’est la réponse purement technicienne qu’il apporte à la question naturelle. Il n’est pas dit en effet que le progrès scientifique, comme le concevait Auguste Comte, porte nécessairement dans ses flancs les réponses aux problèmes écologiques de notre temps. Ce n’est pas qu’il faut stopper cette évolution, pas plus qu’il ne faut stopper le développement, comme le prônait pathétiquement le Club de Rome dans les années 1970, mais c’est qu’il faut apporter une réponse plus globale à cette question.
Il faut accepter le fait que notre connaissance technique des méfaits que nous pouvons causer à la nature est limitée. C’est pourquoi il faut déplacer le problème : non s’interroger sur les fins du développement scientifico-industriel, mais sur les moyens que l’on met en oeuvre. Voilà qui est véritablement conforme à la perspective libérale. Il convient de mettre en place des mécanismes qui médiatisent le rapport homme/nature.

La nature a-t-elle une valeur intrinsèque ? Sans doute, mais il est impossible de considérer laquelle, car nous pourrions différer du tout au tout entre deux personnes. C’est pourquoi un questionnement sur les fins est inutile. A moins de laisser à un pouvoir politique le soin de prendre telle ou telle décision ; mais au nom de quelle rationnalité supérieure ? Là pas plus qu’ailleurs, nul n’est suffisamment omniscient pour imposer sa vision de la protection de ce qui nous entoure, de ce qui nous englobe.

C’est tout l’intérêt des techniques libérales de protection de l’environnement que de ne pas poser de questionnement sur les fins.

Est-ce à dire que la perspective adoptée est purement utilitariste ? Non, dans la mesure où nous reconnaissons volontiers à la nature une valeur propre, indépendante de l’espèce humaine.


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