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Dernières négociations autour de la directive AIFM

mardi 9 mars 2010

Les diplomates britanniques tentent d’amender une dernière fois la proposition de directive européenne sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (directive AIFM) avant qu’elle ne soit discuttée devant le COREPER du Conseil de l’Union Européenne mercredi 8 mars 2010.

La représentation permanente du Royaume-Uni auprès de l’Union Européenne, défendant les intérêts de la City de Londres dans ce dossier, a une dernière chance de persuader ses collègues européens de modifier à la marge le texte proposé par la Commission Européenne.

Le Conseil "Affaires économiques et financières", communément appelé Conseil "ECOFIN" et composé des ministres de l’économie et des finances des États membres, adoubera le texte final le 16 mars 2010. Celui-ci sera ensuite présenté au Parlement Européen pour y être voté par les députés, ce qui sera sûrement une formalité même si les postions de certains nouveaux Etats-Membres ne sont pas encore définitivement arrêtées.

Qu’est-ce qu’un fond d’investissement alternatif ?

Apparues dans les années 1950, ces entreprises spécialisées dans l’investissement pour le compte d’autres entreprises reposent, au niveau réglementaire, sur une plus grande liberté de gestion que les fonds d’investissement traditionnels (SICAV, FCP). Il s’agit de véhicules d’investissement très spécifiques qui ont pour objectif d’offrir une performance absolue décorrélée de celle des indices boursiers traditionnels. Environ 2.000 milliards EUR d’actifs (soit environ 1% de l’investissement des banques) sont gérés actuellement par plus de 10.000 fonds qui emploient des techniques d’investissement variées, investissent dans des marchés d’actifs différents et s’adressent à des populations d’investisseurs différentes. Le secteur inclut les hedge funds et fonds de capital-investissement, ainsi que les fonds immobiliers, les fonds de matières premières, les fonds d’infrastructure, etc.

Leurs principales caractéristiques sont :
- Une structure juridique très souple, souvent domiciliée offshore, qui leur offre le recours à des techniques de gestion généralement interdites ou limitées dans la gestion traditionnelle : options et futures, dérivés, options exotiques, swaps, ventes à découvert, marchés à terme, etc. ;
- Une grande liberté dans les supports financiers : actions, obligations, devises, gré à gré, matières premières, entreprises non cotées, immobilier, etc. ;
- La possibilité d‘avoir recours à l’effet de levier grâce à l’endettement, et donc d’investir une somme plus importante que le montant de leur actif ;
- Une forte implication financière du gérant (par investissement personnel), environ 20% de la rémunération de celui-ci étant fondée sur la performance de son fonds ;
- Une forte sélectivité des clients (absence d’appel public à l’épargne, nombre limité, valeur de la part,...), et de manière corollaire, une grande confidentialité de la gestion.

Les fonds d’investissement : des entreprises bénéfiques pour l’économie

Les universitaires, les professionnels et les régulateurs s’accordent pour dire que les fonds d’investissement alternatifs sont bénéfiques pour l’économie : ils ralentissent la chute des cours dans une économie en récession (éclatement de la bulle Internet par exemple), acceptent des risques que les autres fonds refusent et rendent plus liquide le marché des actions et obligations. Ces avantages viennent directement de leur niveau de réglementation : ils peuvent utiliser davantage les stratégies d’effet levier et de dérivés et ne sont pas tenus de rendre leur stratégie publique (vis-à-vis de leurs concurrents notamment).

L’objectif de la directive AIFM

L’objectif de cette directive est d’établir un cadre sûr et harmonisé à l’échelon de l’UE pour contrôler et surveiller les risques que présentent les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs pour leurs investisseurs, leurs contreparties, les autres acteurs des marchés financiers et la stabilité financière, et permettre aux gestionnaires de fournir des services et de commercialiser leurs fonds dans l’ensemble du marché intérieur.

Pour la Commission Européenne, des approches fragmentées par pays ne constituent pas une réaction complète et fiable aux risques dans ce secteur. Une gestion efficace de la dimension transfrontalière de ces risques réclame : i) un consensus sur les obligations des gestionnaires ; ii) une approche coordonnée de la surveillance des procédures de gestion des risques, de la gouvernance interne et de la transparence ; iii) enfin, des dispositifs clairs pour aider les autorités de surveillance dans la gestion de ces risques, tant dans un cadre national que grâce à une coopération efficace des autorités de surveillance, et à un partage d’informations à l’échelon européen.

La présente proposition s’intègre dans un programme de la Commission visant à étendre une réglementation et une surveillance appropriées à tous les acteurs et activités qui comportent des risques significatifs. La législation envisagée introduira des exigences harmonisées pour les entités qui gèrent et administrent les fonds d’investissements alternatifs. La nécessité d’un engagement réglementaire plus étroit vis-à-vis de ce secteur a été soulignée par le Parlement européen et par le groupe à haut niveau sur la surveillance financière présidé par Jacques de Larosière. Elle fait également l’objet de débats à l’échelon international, par exemple dans les travaux du G20.

Principales dispositions prévues par la directive AIFM

La proposition vise à traiter les problèmes qui nécessitent des dispositions propres aux gestionnaires et à leur activité. Ses principaux éléments sont les suivants :

Champ d’application et définitions : la directive proposée introduit un régime d’agrément et de surveillance juridiquement contraignant pour tous les gestionnaires gérant des fonds alternatifs dans l’UE. Ce régime s’appliquera indépendamment du domicile légal du fonds alternatif géré. La directive ne s’appliquera pas aux gestionnaires gérant des portefeuilles de fonds alternatifs dont les actifs se montent à moins de 100 millions EUR, ou à moins de 500 millions EUR pour les gestionnaires qui ne gèrent que des fonds alternatifs qui ne recourent pas au levier et qui n’octroient aucun droit de remboursement pendant une période de 5 ans suivant la date de constitution de chaque fonds alternatif.

Conditions d’exploitation et agrément initial : tous les gestionnaires seront tenus d’obtenir l’agrément de l’autorité compétente de leur État membre d’origine. Tous les gestionnaires opérant sur le sol européen devront démontrer qu’ils possèdent les qualifications appropriées pour offrir des services de gestion de fonds alternatifs et fournir des informations détaillées sur l’activité envisagée, l’identité et les caractéristiques des fonds alternatifs gérés, leur gouvernance (y compris les modalités de délégation de services de gestion), les dispositions pour l’évaluation et la garde des actifs et les systèmes de soumission d’informations obligatoires. Les gestionnaires devront aussi détenir et conserver un certain niveau de fonds propres.

Traitement des investisseurs : la proposition prévoit que les gestionnaires fournissent à leurs investisseurs une description claire de la politique d’investissement, incluant la description des types d’actifs et le recours au levier ; la politique de remboursement dans des circonstances normales et exceptionnelles ; les procédures d’évaluation, de dépôt, d’administration et de gestion des risques ; enfin, les frais, charges et commissions associés à l’investissement.

Communication d’informations aux autorités de réglementation : pour permettre une surveillance macroprudentielle efficace des activités des gestionnaires, ces derniers seront tenus de communiquer à l’autorité compétente, sur une base régulière, des informations sur les principaux marchés où ils sont actifs, les instruments qu’ils négocient, leurs principales expositions, leurs performances et les concentrations de risque.

Exigences spécifiques applicables aux gestionnaires gérant des fonds d’investissement alternatifs avec effet de levier. La proposition i) donne à la Commission le droit de fixer des niveaux maximaux de levier par des procédures de comité dès lors que c’est nécessaire pour garantir la stabilité et l’intégrité du système financier ; ii) octroie aux autorités nationales des pouvoirs supplémentaires en cas d’urgence leur permettant de limiter le recours au levier pour des gestionnaires ou des fonds particuliers, dans des circonstances exceptionnelles ; iii) prévoit que les gestionnaires recourant systématiquement à un levier au-dessus d’un seuil déterminé seront tenus de faire connaître aux autorités de leur pays d’origine le levier agrégé, toutes formes de levier confondues, ainsi que les principales sources de ce levier.

Exigences spécifiques applicables aux gestionnaires qui acquièrent le contrôle de sociétés. La proposition prévoit : i) la communication obligatoire d’informations aux autres actionnaires et aux représentants des travailleurs de la société en portefeuille dont le gestionnaire a acquis une participation de contrôle ; ii) que le gestionnaire communique sa stratégie d’investissement chaque année et les objectifs de son fonds lors de l’acquisition du contrôle d’une société, et qu’il publie des informations générales sur la performance de la société en portefeuille après l’acquisition d’une participation de contrôle. La proposition exige que les sociétés retirées de la cote continuent, jusqu’à deux ans après la radiation, à être soumises aux obligations d’information qui s’appliquent aux sociétés cotées.

Droits du gestionnaire en vertu de la directive : un gestionnaire agréé dans son État membre d’origine sera habilité à commercialiser son fonds auprès des investisseurs professionnels sur le territoire de tout État membre. Les États membres ne seront pas autorisés à imposer des exigences supplémentaires aux gestionnaires domiciliés dans un autre État membre en ce qui concerne la commercialisation de fonds auprès d’investisseurs professionnels. La directive proposée ne confère pas de droits liés à la commercialisation de fonds alternatifs aux investisseurs de détail.

Aspects liés aux pays tiers : la proposition autorise les gestionnaires à commercialiser des fonds alternatifs domiciliés dans des pays tiers moyennant des contrôles stricts de l’exécution des fonctions essentielles remplies par les prestataires de services dans ces juridictions. Le droit de commercialiser de tels fonds alternatifs auprès d’investisseurs professionnels ne prendra effet que trois ans après la fin de la période de transposition.

Coopération en matière de surveillance, partage d’informations et médiation : les autorités compétentes des États membres devront coopérer pour atteindre les objectifs de la directive. Les autorités compétentes de l’État membre d’origine seront tenues de transmettre les données macroprudentielles pertinentes aux autorités des autres États membres. En cas de désaccord entre les autorités compétentes, le cas sera soumis au Comité européen des régulateurs des marchés de valeurs mobilières (CERVM) pour médiation de manière à parvenir à une solution rapide et effective. Les autorités compétentes devront dûment tenir compte de l’avis du CERVM.

Sans surprise, les points suivants sont les propositions qui font le plus débat au PE : depositaries, niveaux maximaux de levier, pays tiers, pouvoirs discrétionnaires accordés à la Commission, brokerage.

Handicaps de la directive AIFM

Globalement, la Directive comporte tous les défauts d’un texte plus politique que technique (née de la crise financière, la Directive a été rédigée par une Commission sous pression politique, sans concertation importante avec les gestionnaires eux-mêmes et au cœur d’une bataille idéologique de longue haleine). Les objectifs et les avantages avancés par la Directive sont insuffisamment définis. On peut souligner de nombreuses propositions qui souffrent d’un flou juridique important, et qui ne s’accordent ni avec les réglementations européennes ni avec les pratiques sectorielles actuelles.

Pouvoirs discrétionnaires octroyés à la Commission : la façon dont la Directive est écrite laisse beaucoup trop de champ libre à la Commission pour décider de points clefs de la législation (fixation discrétionnaire des niveaux maximaux de levier, procédures d’évaluation, restrictions des opérations de short-selling) au moment de l’implémentation du texte mais aussi après son implémentation. C’est très inhabituel et cela ne saurait être encouragé par le Parlement.

Protectionnisme : les gestionnaires non européens qui voudraient vendre leurs produits à des investisseurs institutionnels européens devront faire face à une batterie de nouveaux obstacles réglementaires (demande de réglementations réciproques, partage d’informations et accords de double imposition notamment). Même s’ils passent avec succès ces nouveaux obstacles réglementaires, ils devront attendre 3 ans de plus avant de pouvoir commencer à vendre leurs produits sur le marché européen. Cela aboutirait à un confinement des investisseurs, des gestionnaires, et des fonds eux-mêmes au sein de l’UE ou hors de l’UE. Les options protectionnistes sont rejetées par le gouvernement français à chaque sommet international.

Changements structurels dans l’industrie : certaines propositions (évaluation, création d’un lieu de dépôt réglementé par l’Union Européenne et universellement responsable) contenues dans la Directive ont pour objectif de changer radicalement le fonctionnement même des fonds d’investissement alternatifs. Conséquences : pertes d’emplois, moins d’acteurs sur le marché à cause de la montée en flèche des coûts liés à la réglementation du secteur, moins de compétition donc moins d’innovation stratégique par les fonds d’investissement alternatifs européens, moins de choix pour les investisseurs européens qui souhaitent protéger leurs actifs de la volatilité du marché, et enfin moins de rentrées fiscales.

Déplacement possible de l’industrie au Luxembourg : la Directive proposée permet à un gestionnaire et à ses fonds de choisir de s’établir dans la juridiction européenne la plus favorable. La Directive AIFM pourrait donc conduire à une concentration des acteurs sur les places les plus attractives. Par ailleurs, et compte tenu de la complexité des problèmes relatifs à l’autorisation des gestionnaires non européens et à la distribution des fonds alternatifs non européens au sein de l’Union Européenne, nombre de gestionnaires non européens pourraient être encouragés à venir s’établir en Europe pour y bénéficier du passeport pour leurs produits. De même, la Directive pourrait induire une re-domiciliation des fonds alternatifs sur des places on shore. Le choix du domicile dépendra de multiples facteurs, parmi lesquels la souplesse du cadre réglementaire et son orientation résolument pragmatique, la réactivité des autorités et leur tradition de coopération étroite avec les acteurs de l’industrie des fonds alternatifs, l’environnement fiscal, la réputation de la place financière, l’expertise et la compétitivité-coût des prestataires locaux ainsi que la disponibilité d’une main d’œuvre qualifiée. Sur tous ces points, le Luxembourg se positionne favorablement, et ce, quelle que soit l’industrie alternative concernée. Le Luxembourg a ainsi établi de solides références en matière de capital investissement depuis 20 ans qui lui ont permis de gagner une reconnaissance internationale et une place de leader mondial en matière de domiciliation d’OPCVM distribués à l’international. Les décideurs politiques pourraient être sensibles à la problématique du déplacement des recettes fiscales accompagnant cette relocalisation des activités de gestion de fonds alternatifs.

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