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Deux ou trois choses sur...

Le gaullisme

lundi 31 mars 2008

Certains, parfois, sont lucides. Avec cent ans d’avance, Marx grommelle : "Je ne suis pas marxiste." Napoléon III s’exclame : "Seul Persigny est bonapartiste, mais il est fou." Pas de chance, il a fallu que de Gaulle prophétise : "Tout le monde est, a été ou sera gaulliste", pour que chacun se sente obligé de lui donner raison. Il aurait pu dire : "Le gaullisme, c’est plus fort que vous" ou "Après moi le déluge", ce qui aurait clos le chapitre. Mais non, il voulait que tout le monde y passe. Et tout le monde y passe. "Que nous soyons gaullistes - en fait tous les Français aujourd’hui devraient le redevenir peu ou prou...", écrit Philippe Séguin dans Le Monde. Si ce n’était que prou !

Le gaullisme se porte à merveille. Après la mort du grand homme, cerné par la tribu orpheline qui se demandait gravement "Qu’aurait fait de Gaulle ?", Alain Peyrefitte avait répliqué. "On ne regarde pas l’heure à une montre arrêtée." Vingt ans plus tard il préfère publier C’était de Gaulle, sans doute pour remettre les pendules à l’heure. Succès foudroyant : 300000 exemplaires vendus. André Glucksmann, lui, s’angoisse : De Gaulle où es-tu ?. Pourquoi en écrire un livre ? Il lui aurait suffi de regarder autour de lui pour se rassurer : de Gaulle est partout.

Au début était le verbe : "Dieu est Dieu, nom de Dieu !"

Le gaullisme, c’est d’abord une affaire de librairie. Une affaire lacrymale, aussi. Et puis une affaire tout court. L’alchimie est simple : il faut déplorer la médiocrité des temps présents, rappeler la grandeur des temps passés - sous de Gaulle - et publier un livre. Le thème ? Toujours le même : il n’y a plus de grands hommes, plus de volonté politique, plus aucun sens de l’intérêt général, l’État perd de sa superbe, et la France s’enfonce dans la déchéance. La recette marche à tous les coups.

En 1971, André Malraux cala cette moulinette rhétorique avec Les chênes qu’on abat, panégyrique post-mortem tiré du dernier entretien entre les deux surhommes. D’après Geoffroy de Courcel, l’aide de camp du Général, le livre découle d’une promenade de digestion qui dura en tout et pour tout une petite quarantaine de minutes. Aux esprits mesquins qui s’étonnaient de l’évocation des étoiles, alors que l’entrevue prit fin vers les quinze heures, Jean Lacouture répliquera avec superbe : "Il y a des gens qui voient des étoiles à midi : ce sont ceux-là qui, un dix-huit juin quarante, croient en quelque chose." Le gaullisme a ceci de fatigant qu’il ne souffre ni l’ironie ni la simple critique. Quand la raison défaille, le grand esprit vient à la rescousse. A la dernière minute, on entend toujours un Maunce Clavel tonner : "Dieu est Dieu, nom de Dieu ! " Maurice Clavel se définissait d’ailleurs comme un "gaulliste transcendantal". D’autres disaient "illuminé". Notre époque fourmille de "gaullistes transcendantaux", ou plutôt de repentis "illuminés" par le Général comme par un miracle de la Sainte Vierge.

Anciens et nouveaux à la messe du culte gaulliste

"Tout le monde a été, est ou sera gaulliste." Nous y sommes. Jadis, le gaullisme avait des opposants féroces. Jean-François Revel pouvait écrire sans frémir : "De Gaulle ne brille ni par une capacité particulière de comprendre les grands problèmes de son temps, ni par une analyse particulièrement subtile des sociétés au sein desquelles s’est déroulée sa vie, ni par une culture politique originale, ni par une perception plus aiguë et plus appropriée des forces qui mènent les grands affrontements planétaires." C’était en 1959. La loi sur le blasphème n’avait pas encore été rétablie. Elle le sera sous la forme d’un procès "pour offenses au chef de l’Etat", intenté à Jacques Laurent pour avoir écrit un Mauriac sous de Gaulle aussi peu respectueux pour l’un que pour l’autre. Relire la liste des témoins à décharge, François Mitterrand, Françoise Sagan, Jules Roy, Bernard Frank, Jérôme Lindon, prend avec le recul une tournure comique. Il n’y a plus d’opposants au gaullisme, ou si peu. Le culte est trop bien organisé.

Il a d’abord été entretenu, pêle-mêle, par les anciens ministres, les aides de camp, même de remplacement, les secrétaires dévouées, les jardiniers fidèles et les chauffeurs-livreurs astucieux, en bref par tous ceux qui, de près ou de loin, auraient entr’aperçu le grand homme. Toujours émouvants, leurs souvenirs se répartissent en deux catégories - ceux qui témoignent et ceux qui font la leçon. Au risque d’affoler les retardataires, on signalera que Michel Debré n’en est qu’au quatrième tome de ses mémoires.

Tout a été dit, mais tout reste à dire. Cependant, même au pays des cent vingt bougies et des rares dents de Jeanne Calment, la gériatrie ne peut tout sauver. Les témoins finissent par mourir. Alain Peyrefitte ou Pierre Messmer sont-ils éternels ? Peu importe : le gaullisme, aujourd’hui, se maintient fort bien grâce à ceux qui n’ont pas connu le général de Gaulle autrement qu’en délaissant leur ballon de foot pour regarder les entretiens télévisés "sauvons les meubles" du Général avec Michel Droit entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1965. Nous vivons l’ère des petits-fils.

Après le " gaullo - mendésisme ", le " Mao-gaullisme "

La "flamme" (un mot clef du langage gaulliste) est entretenue par Philippe Séguin ou Jean-Louis Debré. Mais cette souche serait résiduelle si elle n’était soutenue par un second rameau : les cousins à la mode de Bretagne, les nouveaux gaullistes de gauche. L’ancienne branche de ce gaullisme-là s’est éteinte avec Louis Vallon ou Gilbert Grandval. Elle a ressuscité avec Jean Lacouture, Régis Debray et maintenant André Glucksmann. Un seul critère : pour être un bon gaulliste aujourd’hui, il faut avoir été farouchement anti-gaulliste, en 1958 comme en 1968. Quand il publie sa biographie d’André Malraux, en 1973, Jean Lacouture ouvre une voie réunifiatrice fructueuse. Malraux avait commencé à gauche et terminé chez de Gaulle. Les mendesistes pouvaient tenter une synthèse équivalente, avec d’autant plus de foi que Mendès France s’était opposé sans cesse au gaullisme. De cette façon, en 1984, Jean Lacouture publiait ce que la critique, toujours indépendante, nomme "un monument" : LA biographie autorisée du Général, en trois tomes et série télévisée dans le même lot. Manquait juste le jeu vidéo. De Gaulle était mort depuis longtemps, Mendès France depuis peu : le gaullo-mendésisme pouvait naître. Il tient le haut du pavé aujourd’hui. Il suffit de lire Jean Daniel : c’est dans le souvenir ému de Mendès France, contempteur inlassable des institutions de la Ve, qu’il prend la défense de celles-ci. A quand du "rocardo-gaullisme" sur fond de lutte commune pour l’indépendance algérienne ? Le "mao-gaullisme", lui, semble bien engagé depuis quelque temps déjà. Pas de chance, Philippe Sollers s’est arrêté chez Edouard Balladur, mais André Glucksmann, lui, a visé juste. La "pensée 68", recyclée dans le combat "anti-totalitaire" finira-t-elle ses jours au conseil d’administration de Présence et action du gaullisme ?

Debray et Glucksmann, nouveaux gaullo-maniaques

Seul le "mitterrando-gaullisme" reste en jachère. Il y a bien un Mitterrand pour soutenir un gaulliste, mais ce n’est que Frédéric au secours de Jacques Chirac, un neveu au service d’un héritier de la troisième génération. Rien à voir avec la grande réconciliation post mortem de l’homme du 18-Juin et de l’homme du 10-Mai. Dans La marque et la trace, Alain Duhamel s’efforcera de marquer sinon la continuité, les subtiles affinités entre les deux monarques républicains. Mais la comparaison suscita le mépris des gaullistes sans entraîner l’adhésion des mitterrandiens. L’affaire Bousquet sous l’ombre du régime de Vichy, n’a pas arrangé les choses.

Seul Régis Debray pouvait sauver la mise du "mitterrando-gaullisme". Hélas ! On ne peut plus compter sur personne. Préposé virtuel à cette réconciliation historique, Debray a cru bon lâcher en pleine côte, pour cause de mitterrandisme défaillant. En 1990, ne s’avise-t-il pas d’écrire : "Et si le cours des choses, humoriste comme d’habitude, nous jouait un vilain tour : de Gaulle, le premier grand homme du XXIe siècle ; Mitterrand le dernier du XIXe siècle ? " Ingrat et parjure. Maladroit aussi, car le XIXe siècle n’était pas si mal, tandis que le XXIe siècle ne semble guère assuré.

Avec André Glucksmann, l’urgence gaulliste se fait plus grande : de Gaulle où es - tu ? Au bout de 235 pages, pleines de phrases du genre : " L’émergence transcontinentale d’une matrice triadique livre la clé des conflits de type nouveau ", on ne sait si l’auteur trouvera jamais la réponse à son inquiétude. Mais la question valait d’être posée. L’originalité du néo-gaullisme d’André Glucksmann ? Il appelle de ses voeux un nouveau de Gaulle militaire, tandis que ses frères en gaullisme prient dans le souvenir du de Gaulle politique.

L’époque où la technocratie régnait en France

Prenons un converti de fraîche date : Charles Millon. Son livre dénonce La tentation du conservatisme en lui opposant le souvenir magnifié d’un "véritable Européen, un grand politique, un adversaire résolu de tous ceux qui, à travers le temps, confondent leur intérêt particulier avec l’intérêt national ( ... ). Cette inspiration gaullienne s’impose irrésistiblement quand les temps, à nouveau, nous commandent d’engager les réformes à fond." Ce qui est toujours rafraîchissant chez le converti, c’est la vigueur de ses certitudes agrémentées de profonds clichés.

Quelle fut l’époque où la technocratie régna sans partage sur la France, imposant son aménagement du territoire, ses banlieues à l’urbanisme administré et ses villes nouvelles, sa planification économique, ses restructurations industrielles, son Concorde et sa sidérurgie "sur l’eau" avant d’être à l’eau, sa télévision unique, son nucléaire civil et militaire, ses préfets aux ordres et son téléphone défaillant, oui, quelle fut cette époque ? Celle du gaullisme, à laquelle on adjoindra son addendum pompidolien. Nous n’en finissons plus d’essayer d’échapper à cette époque, à la bureaucratie triomphante et au paternalisme lénifiant. Qu’est-ce que la "politique de la ville", sinon le grand cautère de cette époque radieuse d’où sont nés la plupart des problèmes actuels ?

Le concubinage entre l’administration et le pouvoir économique, avec les effets que l’on connaît de quand date-t-il ? "Le Général ne voulait pas ça..." Peut-être, mais il l’a laissé faire. Et il était tout sauf irresponsable. On sait, du reste, que les militaires, préposés par nature à la défense de l’identité nationale, la défendent fort mal quand ils prennent le pouvoir politique. C’est Franco laissant massacrer la côte espagnole, les colonels grecs rasant une charmante Athènes néo-classique pour y ériger une monstruosité urbaine. Monstrueuse mais "moderne" car il s’agit toujours de "moderniser". De Gaulle n’est pas Franco, loin de là, mais lui aussi rêvait de modernisation planifiée.

Quand on a peur du froid, on crie "papa !"

Ce que clament les thuriféraires sans même se rendre compte de leur incongruité, c’est qu’il faudrait un de Gaulle pour réparer les erreurs d’un de Gaulle. Ne faudrait-il pas, plutôt, en finir avec de Gaulle ? Dans tous les sens du terme, l’époque gaulliste fut une époque dirigiste. Que reproche Philippe Séguin à la gauche au pouvoir ? De s’être réduite à "une sorte de libéralisme social" qui a osé "abandonner toute référence à la planification, à la politique industrielle", autrement dit aux valeurs sûres du gaullisme.

Il y a dans la nostalgie du gaullisme un effet bien connu, que nous nommerons "effet Talleyrand". On connaît la formule du vice-chancelier : "Qui n’a pas connu Paris en 1772 n’a pas connu la douceur de vivre." Paris n’allait guère mieux, ni plus mal qu’à tout autre époque. C’est juste que le brfllant auteur avait dix-huit ans...

Il y a aussi - c’est plus grave - cette éternelle incapacité politique et psychologique à se dispenser du "grand homme". Quand on a peur dans le froid, on crie "papa !". En 1935, Gustave Hervé fait couvrir Paris d’affiches où on lit : "C’est Pétain qu’il nous faut !" En 1995, André Gluscksmann sanglote "De Gaulle où es-tu ? ", au prétexte que de Gaulle fut un homme de guerre et que la guerre va revenir. Car voilà la nouveauté : les Français, ces veaux, sont coupables de vouloir vivre en paix.

Un nouveau de Gaulle pour préparer la guerre !

André Glucksmann nous avertit : Sarajevo et le Rwanda ne sont que des avertissements, la guerre va arriver chez nous, et là, nous ne sommes pas prêts. Sonnez les trompettes du réveil. Comme d’habitude. Lui-même théoricien de la chose militaire, André Glucksmann aime son collègue de Gaulle. Il déteste l’École des Annales, ces historiens passionnants qui ont réintroduit au coeur de l’Histoire le quotidien de monsieur tout le monde, du paysan et de l’ouvrier comme du créateur d’entreprise, et qui, sainte horreur, "ne conçoivent plus l’équilibre européen en termes militaires", et pire, en recherchent "le ressort secret dans l’économie ou les moeurs." Il fut pourtant une époque bénie "où les Français ne tenaient pas la guerre pour une maladie honteuse". Angoisse : "Serions-nous définitivement entrés en après-guerre ? " Un tel malheur ne se peut. On se frotte les yeux : le modèle d’avenir, c’est là trilogie du militaire, du prêtre et du malheureux agriculteur (p. 191). En arrière toute ! Car, pas de doute, il faut "repenser la guerre".

Que l’Europe ait connu cinquante années de paix, et s’apprête à en vivre peut-être autant, toujours vautrée dans le stupre de la consommation, c’est décidément intolérable. Que des citoyens puissent vivre dans une démocratie apaisée, sans maître excessifs et préfèrent vaquer à leurs occupations plutôt que d’aller chercher noise aux autres nations, voilà qui ne va plus du tout. Où sont les hommes ? Les vrais ! Glucksmann veut des guerriers !

Le de Gaulle dont André Glucksmann attend le retour, c’est celui de La discorde chez l’ennemi, du Fil de l’épée, de L’armée de métier, etc. Autrement dit, celui qui annonce et prépare la guerre à venir. N’ergotons pas sur la qualité et l’originalité de la vision stratégique de l’homme de Colombey-les-Deux-Églises. On admettra que l’Histoire ait validé son exercice. Mais aujourd’hui ? Sans l’Allemagne ni la Russie des Soviets ? La perspective se fait plus trouble. La chute du Mur n’a nullement entraîné l’incendie annoncé. Il a, au contraire, montré des peuples avides de rattraper leur retard économique. Le philosophe, déçu par tant d’incompréhension, fait la grimace. Là encore, tout penseur digne de ce nom devrait célébrer les progrès de la démocratie, la sagesse des peuples européens, et se demander si l’exemple tragique de la Bosnie ne serait pas, après tout, l’exception qui confirme la règle. Point du tout. Il faut qu’elle soit l’annonce d’un terrible orage.

La boucle est bouclée. Nous avons un de Gaulle hypostasié - Père, Fils et Saint-Esprit. Un de Gaulle pour la paix, un de Gaulle pour la guerre. Et des célébrants pour tous les cas de figure. Tous gaullistes, ou presque tous, on ne cesse de vous le dire. Le fidèle André Frossard est mort, mais sa postérité semble assurée au centuple. Pour combien de temps ? C’est ici qu’un autre collègue d’André Glucksmann, feu Jean-Marie Benoist, pourrait nous suggérer une hypothèse jubilatoire. En 1970, il publia Marx est mort, un essai prémonitoire alors que régnait un marxisme universitaire triomphant. Sa thèse ? Ce n’est pas que Marx ait eu tort - démonstration vulgaire vaguement aronienne -, il y avait tout simplement trop de marxistes pour que le marxisme y survive. En quelques années, vérification fut faite. Remplaçons Marx par de Gaulle, et attendons.

Antoine Cassan

ADDENDUM

Le gaullisme est une suite ininterrompue et infinie de faux semblants. En voici pêle-mêle quelques-uns, parmi les plus symptomatiques :

De Gaulle avait prédit dès le début des années 1940 la décolonisation, il l’avait voulue, et l’a menée à bien.

En réalité de Gaulle est un parfait pragmatique : en 1945, en effet, l’inéluctable ascension des colonies à l’indépendance ne semble plus guère faire de doutes, pour l’ensemble de la classe politique et non pour de Gaulle en particulier. D’ailleurs, c’est le principal lieutenant du général, Jacques Soustelle, qui sera le plus farouche opposant à l’effilochement de l’Empire. Mais de Gaulle, fin stratège, se montre pour le moins discret sur ce sujet dans ses déclarations des années de guerre : ainsi, en 1945, il n’est guère question d’indépendance, et l’insurrection du Constantinois est écrasée cette année-là, sans que l’événement suscite dans l’opinion une très vive émotion. De Gaulle attribue d’ailleurs dans ses Mémoires la responsabilité de la répression au gouverneur Chataigneau. Toujours dans les mémoires, de Gaulle se définit aisément comme un prophète de la décolonisation, alors que dans les textes de 1944 à 1946 il n’est question que de la France de 110 millions de Français...

Durant sa "traversée du désert" (1946-1958), de Gaulle reçoit de nombreuses visites. Les partisans de l’Algérie française quittent le général convaincus qu’il est inébranlablement attaché à l’Algérie française. Les partisans d’une paix négociée quittent le général, convaincus qu’il est partisan d’une paix négociée. Une seule chose est certaine : il prend dans les années 1950 nettement position contre la thèse de Raymond Aron — le désengagement pour cause de non-rentabilité — thèse qu’il reprendra à son compte à partir de 1960. En tout cas, il ne fait aucun doute que le général a été ramené au pouvoir, le 13 mai 1958, par les partisans les plus ardents de l’Algérie française. Il n’a alors rien fait ni rien dit qui puisse le moins du monde les désavouer. Il faut tout de même rappeler à ce propos qu’après janvier 1946, lorsqu’il a été dans l’opposition, il a accueilli avec réserve (en 1947) le statut de l’Algérie, et il n’a pas cessé de répéter qu’il fallait en Indochine faire la guerre et la gagner. Le 6 juin 1958, à Mostaganem, il termine ainsi son discours en criant : "Vive l’Algérie française !". Autre exemple, s’il était besoin, l’article 1 de la charte de l’UNR est "le maintien de l’Algérie dans la souveraineté de la France". Facile dans ces conditions de donner au discours de Brazaville de janvier 1944 une portée qu’il n’avait nullement.

De Gaulle était au-dessus des partis.

Ah bon, et le RPF ? En réalité, il y avait chez cet homme un mélange étonnant de maurrassime (il avait déclaré un jour que par tradition familiale, il ne pourrait jamais être que monarchiste), de nietzschéisme diffus (son culte du chef est, disons, et sans polémique aucune, préfasciste. Aux hommes des temps faciles, il oppose les hommes de caractère. Il distingue les faibles et les forts, les petits et les grands), de rousseauisme (il détestait les corps intermédiaires, qu’il appelait les féodaux), de nationalisme (celui de Péguy, ou Barrès, mais pas celui de Maurras), et surtout surtout, là encore, de pragmatisme. En 1947, le surhomme au-dessus des partis décide d’en créer un et de le diriger étroitement. Comme le dit Jean Touchard, dans Le Gaullisme : "Le doute ne me paraît plus possible : le général de Gaulle a voulu le RPF ; il l’a dirigé d’extrêmement près, au moins jusqu’en 1951 ; il l’a organisé sur le modèle de la constitution de Bayeux : une autorité strictement concentrée entre les mains de son président. Le RPF a été sa chose, sa chose et son échec."

De Gaulle a toujours été un partisan de l’interventionnisme étatique.

Faux ! Le programme du RPF le prouve : alors qu’existait déjà un parti favorable à un libéralisme économique certain, le MRP, le parti de de Gaulle ne s’en démarque pas. Il importe de stabiliser la monnaie, de réduire les dépenses et les activités de l’Etat, d’encourager la production, de favoriser l’esprit d’entreprendre, l’initiative, l’émulation, la liberté. Deux ans plus tôt, le même de Gaulle nationalisait tout et n’importe quoi : électricité et gaz, houillères, banques et organismes de crédit, sans parler de Renault, Air France, les comités d’entreprises, etc. Etait-ce le programme du CNR ? Que nenni ! ce dernier ne parle même pas de la planification, pas plus d’ailleurs que le Rassemblement populaire de 1936. Ce sera pourtant l’étape peut être la plus importante dans la collectivisation de la France.

Le 12 novembre 1947, il se prononce contre l’hyperfiscalité et les dépenses excessives de l’Etat, pour des économies, toujours des économies, en faveur d’une réforme des nationalisations et de la Sécurité sociale. Le 8 octobre 1952, à l’inverse, le général parle de deux ennemis : "L’argent (...) qui fait la loi dans nos affaires du dedans, tandis que c’est l’étranger qui domine celles du dehors".

On ne saurait suspecter de Gaulle de collusion avec le communisme

S’il est vrai que la présence de ministres communistes dans le gouvernement provisoire de 1945 peut s’expliquer par la volonté du général de ne pas se couper d’une frange importante de la population et que le communistes étaient probablement moins dangereux au gouvernement que dans la rue, s’il est vrai également que le RPF était un parti anticommuniste, il n’empêche que le de Gaulle président a largement badiné avec ses convictions, une fois encore. La France reconnaît ainsi en janvier 1964 le gouvernement de la Chine populaire, et surtout à Pnom Penh le 1er septembre 1966 il approuve la neutralité du Cambodge et condamne sans réserve l’intervention des Etats Unis qui apparaissent pour lui comme les seuls responsables de la guerre du Vietnam. On se souvient également des sarcasmes anti-américain au début des années 1950, au moment de la guerre de Corée, où s’opposaient, faut-il le rappeler, les forces stalino-coréennes au monde libre. C’est que son anti-américanisme primaire lui a souvent fait choisir des camps peu fréquentables par ailleurs (ainsi son comportement pendant la guerre des six jours en 1967).

De Gaulle fut un démocrate, car, loin d’être un dictateur, il a institué l’élection du président de la République au suffrage universel.

En réalité, si de Gaulle décide de proposer l’élection du président au suffrage universel, c’est au nom de raisons moins glorieuses : après la guerre d’Algérie, les partis politiques ont repris une guerre de harcèlement contre le gouvernement ; c’était un excellent moyen de les faire céder. D’autre part, à l’époque, nombreux étaient ceux qui pariaient sur une candidature Pinay à la présidence de la République : ce dernier aurait eu beaucoup plus de chances de succès devant un collège de notables et beaucoup moins devant le suffrage universel. Rien ne permet de dire que de Gaulle était un partisan exacerbé du suffrage universel ; d’ailleurs parmi ses proches, Michel Debré fustigeait une telle volonté, qui aurait transformé la France en régime présidentiel. (l’histoire a montré qu’il s’est trompé).

Enfin il est difficile de considérer quelqu’un qui ne supporte pas l’opposition comme un grand démocrate. Jamais il ne souligne le rôle utile que peut avoir une opposition dans une démocratie ; il l’accuse sans cesse, le plus souvent à tort, de tous les maux et ne recule devant rien, ni la diatribe, ni le quolibet, ni le mépris.

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