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La France sans Grandeur

dimanche 14 mars 2010

Alors que se clôt le débat sur l’identité nationale, un aspect essentiel du problème a échappé à nos édiles. La communauté française s’est construite par son Etat et son administration. Sans revenir jusqu’à Hugues Capet, Philippe Le Bel ou Louis XIV, du domaine royale jusqu’à la centralisation politique et administrative napoléonienne, l’Etat s’est posé comme le tuteur naturel d’une nation qu’il a par ailleurs taillé à sa convenance. Bien entendu, l’histoire de France n’est pas un long fleuve tranquille, et la dynamique de centralisation administrative a subi des accélérations décisives après la révolution française, l’Empire et la fin de la seconde guerre mondiale. Cependant, tout semble réglé comme du papier à musique : les crises politiques majeures que la France a traversées paraissent avoir renforcé l’emprise de l’Etat sur la société, la bureaucratie administrative sur le pays réel. L’affirmation du pouvoir royal s’est faite contre les « féodaux » avec les nouveaux grands commis d’Etat choisis au sein de la haute bourgeoisie ; l’esprit des révolutionnaires s’est insurgé contre les privilèges, tout en détournant l’administration publique au profit de la très fantasmagorique Volonté générale ; les guerres successives ont justifié l’extension de son pouvoir de police, ses prétentions militaires et d’égalisateur social.

Grandeur de la France

Le pendant idéologique de cette permanence, une fois débarrassée des justifications du droit divin, de la Volonté générale et de la Gloire militaire, c’est l’idée de « Grandeur de la France ». Les serviteurs de l’Etat n’obéissent pas à d’autres hommes, mais à une idée qui à elle seule sublime l’ensemble des intérêts et des désirs des Français. Le destin du pays est de tutoyer l’universel, et ses fonctionnaires en sont les instruments bénis des Dieux (ou de l’Être suprême, c’est selon). Au nom de la Grandeur de la France, sa colonne vertébrale étatique ne souffre aucune critique, et toutes ses initiatives sont réputées bonnes et rationnelles, quelques soient ses effets réels sur la société civile. Ses hauts fonctionnaires éclairés et omnicompétents, sa hiérarchie bureaucratique souveraine, son personnel politique incarnant par leurs fonctions le corps même de la Nation ne tolèrent du reste de la population que la soumission et l’obéissance passive.

La trahison des élites

Seulement, l’idée de Grandeur voile plus qu’elle ne dévoile les rapports de force à l’œuvre dans notre beau pays, et perpétue l’illusion d’une communauté d’intérêts entre l’intégralité de la société française et ses élites politico-administratives. Si l’on en croit pourtant Machiavel, les aspirations entre gouvernés et gouvernants ne sont pas seulement concurrents, mais en tout point opposées. Là où le peuple cherche à ne pas être opprimé, les grands veulent étendre leur domination. Pourquoi les représentants de l’Etat français feraient exception ? L’absorption de l’identité collective dans la Grandeur donne à ceux qui prétendent l’incarner, à savoir nos édiles et nos magistrats, une sorte de droit moral qui les place au dessus du commun et les autorise à se prévaloir de privilèges indus. La Grandeur agit comme une « fausse conscience », une fiction morale et politique permettant de légitimer l’accroissement de la domination de l’appareil d’Etat sur l’ensemble de la société. Au nom de la Grandeur, les factions et les coteries qui vivent des largesses de l’appareil d’Etat peuvent poursuivre leurs desseins sans trop d’inquiétude, c’est-à-dire en maximisant leur pouvoir discrétionnaire avec la bienveillance de ceux qu’elles asservissent.

Gaullisme, socialisme, sarkozysme

Les formations politiques de droite parlent de Grandeur de la France, celles de gauche de Grandeur de la République pour communier dans un même mensonge paternaliste. Pour les socialistes, la Grandeur de la République justifie ses largesses en matière de redistribution sociale. L’Etat est légitime à extorquer à une frange de la population une partie de sa richesse pour la donner à une autre (en se rétribuant au passage). Pour la droite d’inspiration gaulliste, la Grandeur de la France demande l’accroissement du contrôle policier sur les populations, au nom d’un ordre public que l’Etat est le seul à définir. Etat providence ou autorité de l’Etat, l’institution étatique est gagnante sur les deux tableaux, au détriment systématique des libertés civiles, de l’auto-organisation spontanée de la société et du droit de propriété.

Réformer la France demande donc l’abandon du lexique trompeur de la Grandeur. Il masque la dimension parasitaire de l’appareil d’Etat, l’appropriation arbitraire par ses défenseurs d’une identité collective qui théoriquement ne lui donne aucun droit sur nous, mais pratiquement nous enchaîne à des habitudes politiques mortifères.

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