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De Gaulle par François Mitterrand

Ce qui reste un texte clef du libéralisme

lundi 31 mars 2008

Les dix présidents du Conseil qui occupèrent son règne ne furent que l’image inconstante d’une stabilité dont il régla d’une main assurée l’équilibre secret. Mais il connaissait d’expérience la fragilité de cet équilibre. S’il put le maintenir à l’épreuve des problèmes classiques, remous parlementaires, jeux de la politique extérieure, il le savait hors d’état de résister aux exigences du monde moderne. L’un des seuls hommes de sa génération à pressentir à la fois l’ébranlement de la société coloniale et la chance française d’inventer une communauté politique d’un type original, il n’eut pas le temps ni le moyen de vaincre et de convaincre les forces qui, en Afrique et en Asie, entraînaient ou retenaient la France dans la répression et la guerre. Néanmoins quand son septennat, troublé en ses débuts par les grèves communistes et l’irrédentisme gaulliste, s’acheva, nul n’aurait supposé qu’avec lui s’évanouissait l’ultime chance du régime. Liée à la fortune et au caractère d’un seul homme, la République près de céder à l’illusion de sa pérennité ne tarda pas à s’écrouler. M. Coty, l’élu de la fatigue, la présida d’un souffle court. De même que le dernier Bourbon avait cru perpétuer la grandeur de sa dynastie en ressuscitant le code des manières, de même le dernier président crut-il continuer Fallières et Poincaré. Mais l’étiquette des époques heureuses ne camoufle pas longtemps les progrès de la décadence. Encore la monarchie eut-elle à l’heure de sa chute un sursaut que la République ignora. Logique avec lui-même Charles X, par son refus d’abdiquer au profit du duc d’Orléans, resta fidèle, dans son morne exil, au principe intraitable qu’il incarnait. Plus accommodant, M. Coty, après un dernier petit tour au soldat inconnu, ce mort qui ne cesse de fournir aux vivants l’alibi de son silence, jugea bon d’alléger ses bagages en laissant à un autre le soin de porter à sa place et sans droit le poids de la légitimité.

Les restaurations, monarchiques ou républicaines, furent bien gouvernées quant à l’administration des tâches quotidiennes. Elles reconstruisirent, réparèrent, assainirent mais ne furent pas populaires. Le peuple aime ceux qui s’exaltent. Il se repaît du souvenir de leurs actions. Après Bonaparte, après le couple désaccordé Pétain-de Gaulle, la gestion savante et quotidienne de politiques en demi-teinte convenait à la convalescence de la France, sans la guérir tout à fait de ses rêves. Elle n’avait besoin que d’une transition, le temps de reprendre force. Seize années séparèrent les adieux de Fontainebleau de la Monarchie de Juillet ; en moins de treize ans la IVe République accomplit sa course qui butte sur le 13 mai. Louis XVIII tint neuf ans jusqu’à la mort. Vincent Auriol et les hommes de son temps, tenaces et subtils comme lui, Queuille, Ramadier, Schuman, tirèrent de leur expérience de quoi prolonger sept ans d’illusion.

Mais quand l’âge ou la fatigue d’un pouvoir acquis tardivement éloigna des affaires les hommes de la Restauration, aucun successeur ne s’avança à la suite des derniers serviteurs fidèles pour perpétuer le régime, momie artificieusement délivrée de ses bandelettes et qui déjà tombait en poussière. A son tour parvenue à maturité, la génération nouvelle ne se souvenait que des espérances et du mépris qui avaient inspiré leur jeunesse. Elle n’avait pas abandonné Bonaparte sur un rocher de Sainte-Hélène pour s’initier à l’étiquette surannée de Versailles. Elle ne s’était pas dégagée des parades sanglantes du fascisme vainqueur, de l’horreur de nuit et brouillard, des ruines où gisaient les empires écroulés pour visiter Doumergue à Tournefeuille. Elle ne connaissait des institutions traditionnelles dont on lui vantait les bienfaits que les apparences dérisoires. Elle les avait vues s’effriter petitement. Elle moquait cet immobilisme qui lui était présenté comme l’art suprême du gouvernement. Elle s’étonnait d’une absence si totale de résolution face aux entreprises adverses au regard de la somme d’énergie dépensée par le régime à retarder l’heure des réformes qui l’eussent peut-être sauvegardé. Elle apercevait la vanité des reconstitutions historiques dans le cadre d’une société qui craquait et se disloquait. Napoléon Bonaparte vaincu avait laissé derrière lui une Europe frémissante au contact de la Révolution dont il avait exporté les idées dans ses fourgons. Aussi bien sur le plan de la politique intérieure que sur celui de la politique extérieure, la jeunesse de 1830 n’avait pu échapper à la contagion de son prestige et aux conséquences de ses actes. De la même manière la jeunesse de 1958, insensible au labeur considérable, intelligent et opiniâtre de Vincent Auriol et de son équipe, ressentit la tentation des régimes totalitaires. Elle eut honte de ce pantin désarticulé qu’avait été la France de 1940. Même en se bouchant les oreilles pour ne plus entendre le rythme saccadé des colonnes allemandes qui montaient en chantant à l’assaut de l’Europe bourgeoise, même en refusant d’entendre le canon de Stalingrad qui tonnait pour annoncer la fin d’un monde, elle éprouva une formidable envie de crier, de bouger. Ce qu’elle fit.

Pas de chance. En mai 1958 comme en juillet 1830 elle avait cru faire une révolution alors qu’elle avait simplement prêté la main à une conjuration. A peine le peuple commença-t-il d’arracher les pavés que tout le monde prit peur, surtout ceux qui, la veille, l’y invitaient avec le plus d’ardeur. D’un commun accord vainqueurs et vaincus se souvenant qu’ils appartenaient au même cercle, qu’il ne convenait pas d’ouvrir à tout tenant, convinrent de limiter les dégâts. Dégrisé des Trois Glorieuses le peuple rentra chez lui. Louis-Philippe d’Orléans et Charles de Gaulle, ces prétendants de la branche cadette, comblés des qualités qui font les héritiers légitimes, mais voués par un destin moqueur à tenir le Pouvoir de l’usurpation, purent enfin régner.

In Le Coup d’Etat permanent, 1964, coll. 10-18, p.34.

De Gaulle pouvait être Washington et fonder une République. Il s’est contenté de faire du gaullisme. Il pouvait restaurer l’Etat qui se mourait faute de soins. Il n’a fait qu’assouvir se volonté de puissance. Il pouvait rassembler autour de lui les élites, anciennes et nouvelles, réveiller les énergies populaires, susciter l’élan passionné de la jeunesse. Il s’est complu à organiser le désert politique français. Il pouvait rétablir le culte de la loi. Il s’est montré le plus indocile des citoyens. Avant lui régnait le désordre et il y prêta la main. Après lui le désordre régnera et il aura préparé la France à le subir. Il a détruit un à un les organes de l’action, de la délibération, du conseil, du contrôle. De la IVe République il avait hérité un régime suréquipé mais dont le cerveau fonctionnait au ralenti. Dotée d’un cerveau actif, le sien, sa Ve République ne commande à rien : il n’y a pas d’exemple en Europe d’un pareil sous-développement des structures. Un chef d’Etat, mais d’un Etat-robot, un président de la République, mais plus de République, l’Histoire dira si la France a gagné au change. Certes, l’aventure lui plaît, l’exalte. Avec de Gaulle elle se promène de Téhéran à Mexico ; elle parle allemand aux Allemands, espagnol aux Espagnols et français aux Américains. Elle disparaît sous les confettis. Voilà de quoi bien se distraire. Mais quand elle rentrera à la maison elle sera tout étonnée d’y trouver des squatters fort décidés à ne pas se laisser déloger. Cela ne pouvait pas se passer autrement. De Gaulle trop loin ou trop haut, le gouvernement diminué, le Parlement en résidence surveillée, la compétition des barons pour la possession des fiefs en déshérence fait rage. L’un d’entre eux, le technocrate, a pris de l’avance sur les autres. Au sein de l’administration il connaît ses plus belles heures. La camaraderie de promotion préférée à l’esprit d’obéissance, un réseau d’ambitions toutes neuves enserre la vie nationale. Une affaire que ne parviennent pas à régler entre eux les ministres, ou les super-préfets, leurs chefs de cabinet, s’ils proviennent de l’ENA, la résolvent au téléphone. La technocratie administrative s’est ralliée à la victoire gaulliste mais ne s’est ralliée qu’à la victoire. Elle supporte, elle subit, elle accepte, elle exécute, elle profite mais elle n’aime pas. Ce qu’elle aime, c’est l’Etat, un Etat-symbole dont elle assume la fonction. En quête de l’Etat elle se figure qu’aux lieu et place des hommes et des partis politiques qui se querellent et s’annulent, du Parlement qui se soumet, des complots qui se trament, elle seule représente l’absent. Elle est comme le régent d’un royaume dont l’héritier mineur ne grandira jamais. Gardienne d’un principe, elle ne prépare l’avènement de personne. Et peu à peu elle s’invente un monde imaginaire où les individus sont contribuables, automobilistes, piétons, assujettis à la Sécurité sociale, usagers du métro, visiteurs de musée ou de zoo, jamais citoyens responsables, où le peuple n’est que la toile de fond d’une scène sur laquelle parlent et bougent, meneurs de jeu, les initiés. Pour l’heure, le gaullisme, qui ne l’a pas séduite, lui convient. En substituant l’infaillibilité du chef à la responsabilité de la représentation nationale, le général de Gaulle concentre sur lui l’intérêt, la curiosité, les passions de la nation et dépolitise le reste. Or, la technocratie administrative déteste et jalouse la politique, vierge folle qui court et musarde hors du logis, tandis qu’elle, vierge sage, tient la maison.

La Ve République n’est pas sûre des fonctionnaires installés par sa devancière mais ne les remplace que prudemment. Même à la tête des grandes directions de la police, Sûreté nationale ou Préfecture de Police, se trouvent encore des hommes de naguère. De Gaulle sait qu’il n’obtiendra d’eux qu’un service passif, indifférent, attentif seulement aux variations de la conjoncture politique. Il les conservera tant qu’ils lui seront utiles et les mutera dès qu’il aura formé ses propres cadres. En cinq ans le gaullisme a dégagé, à prix d’or, quiconque désirait prendre congé de lui. Mais comme il n’a pu fournir en nombre suffisant la relève, il cajole les survivants tout en guettant impatiemment le moment où il lui sera loisible de s’en défaire. Ce n’est pas facile. La faculté d’adaptation des fonctionnaires dits (sans dérision) d’autorité relève de la magie. Un seul super-préfet, celui de Toulouse, dut, au lendemain du coup d’Etat, quitter son poste pour cause de loyauté au régime disparu. Les autres, chargés la veille d’assurer l’ordre et de servir la République en danger, s’en tirèrent avec assez de souplesse pour mériter les bonnes grâces du vainqueur sans susciter le ressentiment du vaincu. Le même préfet de police vient au rapport quotidien de M. Frey comme il venait au rapport de MM. Bourgès-Maunoury et Jules Moch, ministres de l’Intérieur de la IVe agonisante. Ce haut fonctionnaire, au demeurant homme d’esprit et de travail, aura ainsi épousé successivement les alarmes de deux républiques et éprouvé l’intime satisfaction d’avoir, au poste éminent qu’il occupe, survécu au régime qui le lui avait confié - précisément pour durer ! Un moraliste se pencherait avec sollicitude sur les transes supposées de ces malheureux agents de l’autorité publique qui doivent agir au jour le jour, risquant à tout moment promotion, décoration, carrière, alors que la fin de l’aventure reste encore incertaine. Je lui conseillerai cependant de ménager sa sensibilité : aucun n’est mort sur les barricades et n’en a l’envie. C’est avec le même sourire courtois, la même disponibilité serviable, le même dévouement lyrique qu’ils réservaient naguère aux ministres et aux parlementaires influents de leur département que nombre de préfets ont accueilli, en mai 1958, ces messieurs les membres des Comités de salut public, composés la plupart du temps d’ahuris et d’excités que Salan et Massu eux-mêmes trouvaient compromettants. On peut leur faire crédit. Il faudrait qu’un coup d’Etat fut accompli par des gens fort mal élevé ou qu’ils eussent bien peu de chances de succès pour que dans nos républicaines préfectures leur soient refusés l’empressement et le couvert à table.

Un régime obtient de ses fonctionnaires la fidélité qu’il mérite. L’administration qui, par sa permanence, a longtemps suppléé l’instabilité gouvernementale profite plus encore de la concentration jalouse des pouvoirs sur la seule personne du chef de l’Etat. Personne ne lui discute l’entière disposition de la France quotidienne tandis que le général de Gaulle brasse le futur avec ses souvenirs. La boulimie gaulliste l’a, par nécessité, épargnée. Les fonctionnaires sélectionnés à leur premier diplôme par les grands corps de l’Etat possèdent désormais dans leur serviette un brevet de ministre. Sortis le plus souvent du peuple mais séparés de lui par l’épaisseur d’un monde définitivement clos, ils franchiront les étapes de la carrière jusqu’aux sommets secrètement espérés sans avoir à connaître les exigences vulgaires qui épuisent, de dimanche et dimanche, le praticien de la politique villageoise. Une machine électronique tâte pour leur compte le pouls de la France. Ils tranchent, ils décident, ils décrètent avec un mépris affiché des habitudes démocratiques qui leur paraissent contemporaines du fumier devant la porte des fermiers lorrains. Ils nettoient, ils curent la machine et ne s’attardent pas à distinguer si ce qu’ils enlèvent est crasse ou patine. Le régime laisse faire, contraint de laisser faire. Il n’aperçoit pas qu’à mesure qu’il débusque les dirigeants des collectivités locales (départements, communes, syndicats d’intérêt public), et les en chasse, d’autres que lui en profitent, pour qui la réalité du pouvoir a plus de prix que le clinquant. Est-ce la volonté du général de Gaulle ou le dévorant appétit de la technocratie triomphante ? Les deux à la fois sans doute sont à l’origine des menaces qui pèsent sur nos institutions locales. Les réformes décidées ou envisagées par la Ve République partent ordinairement d’un indéniable besoin moderne. On a le droit de penser que le département, cadre trop restreint, freine le développement économique, que trop de communes dépeuplées encombrent le territoire, que l’extension des grandes cités urbaines justifie la création de districts, qu’il est urgent de fractionner la région parisienne, qu’il convient d’obtenir le concours des organisations professionnelles pour l’étude des programmes, oui, on a le droit de penser cela sans mériter l’accusation de manquer à la démocratie. Mais ne pas instituer un pouvoir de contrôle chaque fois qu’un agent de l’autorité, régional ou départemental, se voit déléguer dans les attributions du pouvoir central, c’est manquer à la démocratie. Une littérature douceâtre et larmoyante chante les charmes réveillés de la province française, que le régime se flatte d’avoir fait sortir du folklore. Un Plan de Développement économique et un Plan d’Aménagement du territoire se recoupent et s’harmonisent en "tranches opératoires" de quatre années dont l’objet est d’équiper chaque région pour qu’elle affronte avec des chances égales la concurrence nationale et européenne. Excellente initiative dont l’origine remonte d’ailleurs à 1954. Ce provincialisme exalte beaucoup les Français. Certains rêvent déjà d’un discret fédéralisme. Et bien que le gouvernement ait exclu - avec raison - l’hypothèse d’institutions fédérales, la propagande officielle entretient l’illusion d’une décentralisation audacieuse qui offrirait aux élites locales l’occasion de participer à la gestion des affaires de Bourgogne ou de Normandie et aux ressources le moyen d’échapper à l’attraction parisienne. Mais là est le mensonge car la Ve République procède, en réalité, à un extraordinaire durcissement du système napoléonien. Non seulement aucune mesure décentralisatrice n’a été prise, mais les pouvoirs des assemblées municipales et départementales sont inexorablement réduits au bénéfice des fonctionnaires placés par le gouvernement à la tête des régions-programmes. Tel est le circuit : les experts du Plan conçoivent, élaborent. Les experts de l’Aménagement mettent en œuvre et répartissent les "tranches opératoires". A l’échelon de la région un fonctionnaire, le préfet coordonnateur, exécute. Des fonctionnaires, les préfets, réunis sous la présidence du super-préfet en conférence interdépartementale, affectent les investissements. Ni le Parlement ni les Conseils généraux n’interviennent. Un Conseil consultatif, le Comité d’expansion régionale, des commissions et des groupes de synthèse sont parfois appelés à fournir un avis sur les opérations futures dont ils ne sont pas habilités à suivre le déroulement. Au gré des préférences politiques, le ministère de l’Intérieur guide le choix de ses agents qui déversent la manne sur les communes qui votent bien et stérilisent les communes qui votent mal. En même temps les pouvoirs des préfets dans les départements sont considérablement accrus. Et comme le gouvernement transfère aux collectivités locales une partie des charges qui lui incombent : infrastructures urbaines, constructions scolaires et universitaires, logements des maîtres, allocations d’aide sociale, etc. tout en s’appropriant les sources d’imposition et en préparant la suppression de la taxe locale, il apparaît que le coup d’Etat permanent qui a rompu l’équilibre démocratique des institutions nationales s’attaque maintenant aux structures locales, dernier refuge des libertés publiques. Le régime entend éliminer ceux que sa presse appelle les notables et qui, choqués par la révolte de l’armée, puis par les méthodes plébiscitaires du général de Gaulle, résistent à sa séduction. Cette intention rencontre celle des technocrates qui s’estiment capables de régler directement les affaires locales et qui s’offusquent du peu de goût qu’ont pour les idées générales la majorité des maires et des conseillers cantonaux. A leur yeux l’Etat ne doit pas se laisser alourdir par la revendication des corps intermédiaires englués dans des considérations terre à terre. Ils ont dessiné sur fiches le portrait-robot de la France de l’an 2000 et pour rien au monde ils n’en retoucheraient un trait. A la rigueur ils feraient leur la sentence de Guizot : "Tout pour le peuple, rien par lui". Encore n’ont-ils du peuple que des notions statistiques. C’est pourquoi la nouvelle classe dirigeante demeurera fidèle au gaullisme tant qu’il continuera de la servir en abattant l’une après l’autre les structures qu’elle juge périmées. Elle n’a rien à craindre de successeurs qui n’emploieraient ses mérites, son exceptionnelle compétence et son dévouement absolu à l’Etat qu’après l’avoir, d’une main rude, remise à sa place sous l’autorité sans partage du pouvoir politique. Il lui arrive de fronder la Ve République à laquelle elle doit tant. Mais la fronde est querelle de seigneurs. Quand le peuple bouge, sa révolte porte un autre nom. Les combats de la technocratie, qu’on y prenne bien garde, n’ont rien de commun avec le combat pour la démocratie.

Ibid, p.191

Si considérable est l’importance du choix qui commandera pour longtemps non seulement le destin de notre pays mais encore celui des peuples d’Occident qu’on voudrait être sûr qu’il s’agit bien du choix de la France. Mais le général de Gaulle conçoit, médite, décide hors des précédents et des jurisprudences, étranger aux dialogues. Lui seul est véritablement souverain parmi les grands de la terre. Le chef d’un Etat démocratique écouterait son Parlement. Le chef d’un Etat communiste irait devant son parti. Le chef d’un Etat fasciste réunirait ses hiérarques. Un roi de l’Ancien Régime délibérerait en son Conseil. Tandis que dans la France d’aujourd’hui le président de la Ve République, qui n’est pas même, selon la Constitution, chef de l’Exécutif, dispose, grâce au "secteur réservé" qu’il s’est à lui-même attribué en se plaçant hardiment hors la loi, du droit de vie et de mort sur l’avenir de son peuple.

Qui s’en plaindra ? Son pouvoir écrase toute opinion contraire à la sienne. Que lui importent les quelques milliers de lecteurs d’un livre comme celui-ci, les clubs protestataires, les cellules dispersées de l’opposition ? Que lui importe un Parlement dont la majorité abdique ses devoirs ? Que lui importe un gouvernement qui a pour consigne d’éviter de penser ? Que lui importent les engagements pris avant lui par les dirigeants de son pays avec nos associés et avec nos alliés ? Que lui importent les raisons de vivre et d’espérer d’une coexistence pacifique courageusement admise par les responsables soviétiques ? Que lui importent les routes sur lesquelles d’autres que lui ont déjà mis leurs pas ? La politique extérieure de la France n’appartient plus à la Nation mais à un seul homme, et, pis encore, à un homme seul. On dit que c’est la marque du gaullisme. Pourquoi pas ? Le gaullisme après tout n’est peut être qu’un poujadisme aux dimensions de l’univers. Je l’observe qui refuse à la fois la communauté de l’Europe, la solidarité atlantique, la conciliation nucléaire avec l’Est, l’arbitrage international comme s’il avait encore le temps de fabriquer un monde, sorti de ses chimères, et pour sa seule dilection. De siècle en siècle, verra-t-on toujours un Français coiffer la couronne de Patagonie ?

Ibid, p.138

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