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Nouvelle grève des enseignants

mardi 23 mars 2010

Aujourd’hui, certains de mes collègues ont fait grève. Bien que je ne puisse témoigner de la situation dans toute l’Éducation nationale, je me permets, moi qui enseigne au collège, de livrer quelques réflexions à partir de mon expérience.

Aujourd’hui, certains de mes collègues ont fait grève. Je ne saurais dire dans quelle proportion, car mon emploi du temps est ainsi fait que je n’ai pas cours le mardi. Mais nous en avons quelque peu discuté hier. Comme toujours à la veille d’un mouvement social, s’est posée l’éternelle question : « Et toi, tu fais grève demain ? ». C’est drôle cette irrépressible envie de connaître l’intention des collègues, un peu comme s’il fallait se rassurer soi-même…

Moi, répondis-je, je ne ferai pas grève. Il faut dire que depuis que j’enseigne, je n’ai fait grève qu’une seule et unique fois, pendant deux ou trois jours ; j’enseigne depuis 6 ans.

Une discussion s’est alors engagée, car je fis clairement comprendre qu’à mon humble avis, cette grève était une perte de temps et que, donc, je préférais garder mon argent. Je m’enquis des raisons justifiant la cessation du travail. Je fus surpris de m’entendre répondre qu’une grève était un bon moyen… de souffler. La grève comme jour de repos !

On pourrait se scandaliser d’une pareille attitude. Après tout, ce n’est pas très professionnel et honnête : on ne fait pas grève pour se reposer, mais pour participer à la défense de ses conditions de travail. Un jour de grève est un jour de lutte, pas un jour férié… On se scandaliserait d’autant plus que les enseignants sont richement pourvus en jours de repos. Mais on pourrait voir la chose différemment. Car cela montre qu’un certain nombre d’enseignants juge préférable de souffler un instant, plutôt que d’aller travailler, quitte à perdre une journée de salaire. Cette préférence est donc également le symptôme de la déliquescence d’un système qui ne satisfait plus personne, ni les élèves, ni les parents… ni les enseignants.

« Tu te vois, toi, travailler jusqu’à 60 ans ? » me demanda un collègue. Je n’eus pas vraiment le temps de répondre ; je dis simplement qu’il n’y avait pas trente-six solutions : ou bien on changeait de système, ou bien on le gardait ; si on le gardait, il fallait ou bien reculer l’âge de la retraite, ou bien accroître les cotisations, ou bien diminuer les pensions… « Que fait-on, alors ? », lui demandais-je. Il ne me répondit pas. Il me semble que c’est là la parfaite illustration des impensées actuels. La question ne peut en effet se résumer à ce que je désirerais, mais doit comporter une juste évaluation de la réalité. En somme, c’est moins mes desiderata qui comptent que ce qu’il sera possible de faire. Sera-t-il possible de ne pas travailler plus longtemps ? C’est la seule question réaliste... Le principe de réalité, c’est bien ce qui manque à une population gavée d’assistance et d’État-providence. Comme les Grecs, les Français vivent dans leur bulle.

Mais cherchons à répondre.

Je ne peux pas dire si je me vois encore enseigner à 60 ans. C’est dans bien trop longtemps. En revanche, on peut s’arrêter quelques instants sur l’image de la condition enseignante que découvre cette question. Serait-il surhumain d’enseigner à 60 ans ?

L’enseignement est devenu très pénible. Nul ne peut le nier : il suffit de voir le nombre de dépressions nerveuses et, surtout, le taux de suicide qui est deux fois la moyenne nationale (sans que cela fasse le même foin que la fantomatique vague de suicides chez France Telecom…). Mais enfin, il faut garder raison. Les enseignants ont, automatiquement, quatre mois de vacances par an ; ils bénéficient d’horaires sympathiques ; au collège, ils ont systématiquement le mercredi après-midi (sauf ceux d’EPS qui font l’AS) et la totalité du samedi, à quoi s’ajoute souvent une journée sans cours ; leur salaire est certainement inférieur à ce qu’il devrait être, mais il reste confortable, de plus il augmente automatique, quelle que soit la compétence ou l’incompétence de l’enseignant, à intervalles réguliers (en gros deux ou deux ans et demi pour passer à l’échelon supérieur) ; les enseignants ont la sécurité de l’emploi et rendent rarement des comptes à leur hiérarchie pédagogique (l’inspecteur, cet oiseau rare) et administrative (que peut faire un chef d’établissement ? pas grand-chose) ; enfin, il faut noter qu’enseigner ne demande pas un effort physique important, bien que cela soit fatiguant (et je nie à quiconque le droit de prétendre le contraire) et souvent démoralisant, mais cela n’a rien à voir avec l’abrutissement physique et intellectuel du travail à la chaîne en usine ou au MacDo.

Donc, je pense qu’enseigner jusqu’à 60 ans est parfaitement possible. Il faudrait certainement des aménagements, on éviterait de mettre les trop anciens dans les ZEP, par exemple ; notons que c’est déjà le cas : avez-vous jamais vu une carte de France de l’âge moyen des enseignants ? Eh bien plus vous descendez vers le sud, plus les enseignants sont près de la retraite… Avec l’âge, ils cherchent les affectations plus tranquilles et se mettent peu à peu au vert. De toute façon, en me posant cette question, mon collègue s’imaginait ayant 60 ans dans son établissement actuel, qui est en RAR (Réseau Ambition Réussite), autrement dit en ZEP. C’est bien évidemment une distorsion, car il ne restera pas en ZEP plus d’un certain nombre d’années (cinq ou six en général) et, lorsqu’il aura assez de points d’ancienneté, il cherchera un établissement plus tranquille. Tout le monde fait pareil.

Quoiqu’il en soit, il semble possible d’enseigner à 60 ans pour la plupart des gens. Mais attention ! je n’écris pas que c’est une chouette perspective, ni même que c’est idéal. Je dis simplement que cela semble possible en général et qu’en fait, trop souvent, les enseignants se complaisent à dépeindre leur situation comme celle d’une sorte de prolétariat. C’est manifestement faux. Vous n’imaginez pas le temps que les enseignants peuvent passer à se plaindre, c’est proprement effarant ! Enseigner c’est pourtant profiter de beaucoup d’avantages. Malheureusement, il semble exister une loi qui veut que l’on ignore systématiquement son bonheur, spécialement quand on est fonctionnaire semble-t-il. On cherche toujours plus que ce que l’on a. Or, il advient un moment où cela n’est plus réaliste du tout.

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