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Monsieur le Secrétaire d’État, attaquez vous à l’ENA

mardi 6 avril 2010

Madelin avait déjà, il y a quelques temps, vilipendé le fonctionnement de l’école disposant d’un quasi-monopole de la formation de l’élite administrative : “l’Irlande a l’IRA, l’Espagne l’ETA, l’Italie la mafia, la France a l’ENA“. Depuis, réforme de l’Etat oblige, l’ENA a essayé de donner l’illusion d’un chambardement. Mais sa réforme s’est pour l’instant limitée à une bien maigre réformette du classement de sortie et c’est désormais Georges Tron, fraîchement nommé à la tête du Secrétariat d’État en charge de la fonction publique, qui devra piloter le dossier.

En octobre dernier, dans un rapport remis à la commission des finances de l’assemblée nationale dont il était membre, il ne mâchait pas ses mots : “tout se passe comme si la gestion par la performance n’était pas enseignée ni pratiquée à l’ENA“. Et de souligner l’incapacité à rationaliser un budget des administrateurs du prestigieux établissement français : “les indicateurs de performance sont défaillants : c’est ainsi que le coût d’un élève est mesuré sans tenir compte des dépenses d’investissement. Cette année, la dotation versée par l’État doit augmenter de 35,7 à 36,1 millions d’euros : ainsi l’ENA n’aura pas réussi à financer par les économies résultant de la réduction de 27 à 24 mois de la durée de scolarité“. Évidemment, rien de très étonnant. Mais peut-on réellement espérer quelque chose de la part de Georges Tron, dont le volontarisme risque d’être mis à rude épreuve par l’autonomie dont jouit l’administration, la défiance des hauts fonctionnaires à l’encontre de tout individu non issu du sérail ou encore par les multiples corps (comme autant de groupes de pression) qui se drapent dans l’intérêt général pour mieux voiler leurs intérêts catégoriels ?

On pourrait oser penser que Nicolas Sarkozy, désormais conscient de l’effet de ses tribulations sur son électorat, accepte de pousser plus avant la réforme de la fonction publique et accorde à Georges Tron à la fois l’aide et la marge de manœuvre dont celui-ci aura le plus grand besoin.

Mais la haute fonction publique, malgré son apparente subordination politique et juridique, n’en est pas moins un pouvoir. Le droit censé fonder ou limiter son action est élaboré par les services administratifs. Son application créé de surcroît une faculté d’adaptation. Pourtant situés au-delà du cadre politique, les bureaucrates bénéficient ainsi d’une autorité de fait. Et cela est sans compter sur l’éternel va-et-vient entre la fonction publique et l’arène politique. Les hauts fonctionnaires parviennent ainsi, au passage, à truster la production de la pensée politique. Par ailleurs, d’autres, comme Minc ou Attali, sont les exemples types d’énarques bénéficiant d’une présomption de compétence et ayant pu s’arroger un véritable pouvoir intellectuel. Sans doute est-ce une conséquence logique de la tradition jacobine : penser l’Etat, c’est aujourd’hui penser la France.

La réforme de l’administration est alors naturellement d’une grande complexité technique. William A. Niskanen avait très tôt relevé que les tentatives d’évaluer un organisme pour mieux décider du budget à lui accorder dépendait d’informations spécialisées qui sont justement entre les mains de l’organisme lui-même. Les bureaucrates peuvent ainsi aisément pousser à l’élargissement de leurs attributions et à l’augmentation de leur budget. Exemple : “La pollution persiste-t-elle malgré les budgets importants octroyés pour la protection de l’environnement ? C’est qu’ils sont toujours insuffisants. Donnez-nous des ressources plus amples et vous verrez la différence ! ” [Analyse économique du droit, Ejan McKaay, 2008]. Rien ne moins étonnant : en l’absence de concurrence, comment évaluer la performance et, de proche en proche, inciter à la progression ? Aussi, comment décider du nombre d’emplois nécessaires aux missions confiées à un organisme ?

Pour palier au problème, la République s’est lancée dans la commande de rapports. On y compte en général des haut fonctionnaires, quelques députés, quelques consultants du privé. Mais un seul représentant du secteur privé participa à la rédaction du rapport Silguy de 2003 sur la réforme de l’ENA. Bien qu’écartant la suppression de l’école, ce rapport préconisait la mise en concurrence de celle-ci avec d’autres centres de formation (et ainsi la fin de son monopole sur la haute fonction publque) et la création d’une filière parallèle de recrutement des hauts fonctionnaires de l’Etat, via un concours extérieur à l’ENA ouvert aux diplômés de niveau bac + 5. Même une telle remise en cause a été jugée trop ambitieuse ; seule la réforme du classement de sortie a été retenue.

… Reste t-il encore à espérer que ce rapport est dans l’esprit du nouveau Secrétaire d’Etat ?


Voir en ligne : Monsieur le Secr


Article repris avec l’aimable autorisation de l’auteur. Vue sur les b

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