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Quo vadis Europa ?

mercredi 2 avril 2008

Pour ce faire, l’Europe devra opter pour une Constitution européenne. Si l’Europe ne veut pas être réduite à une multitude de traités multilatéraux, si elle tient à être une entité au service d’intérêts communs - à commencer par les questions relatives aux politiques étrangère, de défense et économique, sans perdre de vue la nécessité d’élargir ces domaines et si, enfin, elle souhaite véritablement incarner une vision de la société, une vision de la paix et de l’entente entre les peuples, alors elle aura besoin de sa propre Constitution.

Je suis convaincu qu’une Constitution de cette nature ne mène nullement à un renforcement de l’« eurocratisme », mais qu’au contraire elle constitue une condition nécessaire, voire incontournable, à l’instauration d’une Europe au service des hommes et des cultures. Une Constitution européenne doit comporter deux aspects. D’une part, une entente entre les Européens sur l’orientation qu’ils souhaitent donner à leur vie communautaire. Un accord définissant les valeurs jugées fondamentales et porteuses de tout ce qui caractérise l’identité commune européenne - allant des promesses de paix et d’unité économique formulées par les pères et mères de l’Europe jusqu’à la garantie d’un Etat social. Cet accord serait en quelque sorte une grande Charte, un cahier européen des valeurs fondamentales et des droits fondamentaux. Cette Charte devra être plus innovatrice et audacieuse que celle qui nous est proposée à ce jour.

D’autre part, l’Europe a besoin d’une idée directrice, d’un plan définissant le fonctionnement du projet. Car si nous ne changeons rien à la situation actuelle – le principe de l’unanimité, le rôle du Conseil de l’Union européenne, la règle fixant le nombre de commissaires (ce nombre ne pourra dépasser un certain seuil sans paralyser le fonctionnement de la Commission), le rôle du Parlement européen et celui de la Cour de justice européenne –, nous nous engageons dans une voie sans issue. Le projet de Constitution pourrait être réalisé d’ici l’année 2005, tout juste avant l’accueil de nouveaux Etats membres. C’est même absolument indispensable étant donné que, sans aménagements structurels, l’UE, déjà mal assurée, ne pourra pas faire face à l’accueil de nouveaux Etats. Comment l’Europe peut-elle aller de l’avant, comment peut-elle éviter de se scléroser et quelles sont ses véritables chances ? J’ai pensé au modèle suivant : le pouvoir législatif européen serait assuré par deux Chambres. La première serait le Parlement européen directement élu par le peuple européen. La compétence législative de ce Parlement serait telle que toutes les questions touchant aux intérêts de l’Europe y seraient débattues et tranchées. Mais pas plus. Autrement dit, le principe de la subsidiarité serait respecté à la lettre et tout ce qui ne s’inscrirait pas dans le cadre de la compétence européenne serait du ressort des Parlements nationaux ou régionaux. Cette distinction doit être respectée sans exception. Comme l’expérience nous permet de le constater, les hommes politiques ont une fâcheuse tendance à dépasser le cadre de leurs compétences. Il est par conséquent indispensable de les contrôler. Une seconde Chambre devrait, me semble-t-il, pouvoir assurer ce contrôle et serait en quelque sorte garante du principe de la subsidiarité. Le peuple n’élirait pas directement cette seconde Chambre dont les membres seraient en fait choisis parmi les représentants des parlements nationaux et régionaux. Parallèlement au modèle du Sénat américain, la représentation de cette seconde Chambre serait de type paritaire et non proportionnelle à la démographie de chaque pays. Elle aurait pour mission de représenter les intérêts des différents Etats. Comprenons bien que ce ne sont pas les gouvernements qui seraient représentés aux Parlements, qu’il s’agisse de la première ou de la seconde Chambre, mais que nous aurions affaire exclusivement à des parlementaires élus par le peuple. Situation qui, non seulement renforcerait leur légitimité démocratique, mais consoliderait également l’identification des hommes à leurs représentants.

La Cour de justice européenne devrait, en sa qualité de dépositaire du pouvoir judiciaire et gardienne de la Constitution européenne, pouvoir affirmer sa position de garante de l’ensemble de la construction de l’UE. Elle devrait en particulier veiller au respect des compétences constitutionnelles entre les assemblées mais également des droits des citoyens. Le gouvernement européen ne sera plus un gouvernement relégué au second plan. Affranchi de la tutelle des intérêts nationaux des divers Etats membres, il se consacrera aux intérêts proprement européens. C’est là que réside toute la différence entre l’Europe de demain et celle d’aujourd’ hui. A l’heure actuelle, le Conseil de l’Union européenne est, de fait, le gouvernement de l’UE. Ce Conseil n’est qu’un organe représentant les intérêts nationaux et il s’en tient à ça !

De plus, l’objectif premier de ce Conseil des membres des gouvernements nationaux est précisément leur affirmation en tant que tels. Pour ce faire, ils recourent à une sorte de mythe dans lequel ils auraient à défendre leurs nationaux contre un « envahisseur insondable » baptisé pour le coup « Europe » alors qu’en réalité ils sont les seuls protagonistes du drame. Un exemple : des décisions complexes et source de contrariétés – comme c’est le cas en matière de politique agricole – sont prises au sein du Conseil. Une fois ces réunions au sommet terminées, chacun retourne tranquillement chez lui et les citoyennes et citoyens entendent dire que « Bruxelles » vient encore une fois de prendre des décisions irraisonnées. Une Commission au pouvoir renforcé, assumant la fonction de gouvernement européen, doit par conséquent remplacer le Conseil. Cette Commission devra réussir à penser véritablement européen. Elle devra s’affranchir de cette politique au service de chaque Etat pour devenir un organe fort au service de l’Europe.

Cette évolution exige l’introduction de réformes décisives : les commissaires ne devraient dès lors plus être délégués par les gouvernements. Le seul fait d’être nommé ne devrait pas constituer une légitimité suffisante. Il est indispensable que les commissaires bénéficient d’une véritable légitimation démocratique.

Ce gouvernement européen devra aussi renoncer à exercer une domination uniquement administrative pour remplir une fonction politique. Un tel gouvernement, puissant et actif, agissant au nom de l’intérêt commun européen et se situant au même niveau que les gouvernements nationaux, voire au-dessus de ces derniers, doit nécessairement obtenir des citoyens la confirmation de sa raison d’être. Deux voies devraient, me semble-t-il, permettre d’en arriver là.

Premièrement, l’élection directe au suffrage universel du président de la Commission. Cette élection pourrait être modulée par l’élection d’un collège électoral représentant d’une manière proportionnelle les différents Etats membres. Dans ce contexte, le modèle politique des Etats-Unis mérite que l’on s’y attarde : le président y est légitimé de manière démocratique. Il ne prend pas de décision concernant les affaires des Etats, tout en s’affirmant vis-à-vis de ceux-ci en matière de politique étrangère, de sécurité, d’environnement et de politique sociale. Deuxièmement, l’organisation d’un scrutin proportionnel sur base de listes électorales européennes unitaires, autrement dit transnationales. Lors des élections européennes, les citoyens européens auraient en fait deux voix. Avec leur première voix, ils éliraient les membres du Parlement européen, avec la seconde, le président de la Commission. Le président de l’UE serait en fait le candidat de tête de la liste européenne ayant récolté le plus grand nombre de suffrages. Il faudrait alors que le président, après avoir consulté le Conseil, réunisse son gouvernement, pouvoir exécutif, autrement dit la Commission, et propose ce choix au Parlement européen, lequel le confirmerait.

L’Europe est pour moi une vision, un rêve, je pourrais même dire une des dernières utopies pour lesquelles il vaut la peine de se battre. Je suis convaincu que la notion de « patriotisme constitutionnel », pour reprendre une expression utilisée par Jürgen Habermas en parlant de l’Allemagne, est pleine de signification dans le cas de l’Europe : ce qui unirait les Européens et forgerait leur sentiment d’identité et d’appartenance à l’Europe résiderait dès lors dans une adhésion commune, consciente et réfléchie, aux principes et aux normes consacrées par la Constitution. Je suis par conséquent convaincu que les débats autour de cette Constitution, de même que le scrutin auquel elle donnera lieu, représentent la condition indispensable à l’élaboration d’une nouvelle Europe. Les discussions auxquelles chacun est invité à prendre part ne peuvent que susciter une prise de conscience générale et déboucher sur une identification politique. C’est en cela que je suis un « patriote » européen –un « patriote » constitutionnel.


Le Monde du vendredi 3 novembre 2000

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