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Protectionnisme vert ou croissance ?

mardi 13 avril 2010

Les négociations internationales sur le climat à Bonn, en Allemagne, le week-end dernier ont tenté de rattraper l’échec du sommet de Décembre à Copenhague. Pendant ce temps, certains pays riches imposent quoi qu’il en soit leurs propres limitations de carbone, et menacent de freiner les importations en provenance des pays pauvres qui ne suivent pas leur exemple. Cela paralysera leurs économies et causera du tort aux pauvres, sans changer grand’ chose aux émissions.

Divers États souhaitent un tel protectionnisme vert, y compris les taxes sur les importations à forte intensité carbone ou sur toutes les importations en provenance de pays qui ne réduisent pas leurs émissions, en particulier les pays-cibles principaux : la Chine et l’Inde. La législation des Etats-Unis sur le climat devant le Sénat les appelle des « mesures à la frontière. »

Le président français Nicolas Sarkozy a déclaré en mars « Je pense que chacun considère aujourd’hui que la question d’un mécanisme d’adaptation aux frontières de l’Europe est un sujet incontournable et essentiel » utilisant l’euphémisme estampillé « Union européenne » pour désigner en réalité des droits de douane verts.

Ces idées menacent le commerce international, la croissance et la reprise.

Les industries dans les pays riches font face à des mesures punitives et coûteuses contre le changement climatique. Beaucoup craignent qu’elles seront incapables de rivaliser avec les pays qui n’ont pas de restrictions d’émissions et craignent que l’emploi industriel s’éloigne vers ces contrées.

L’Union européenne veut réduire les émissions de 20% d’ici 2020, tandis que les projets de loi des États-Unis visent les 80% en 2050. Mais d’autres grands émetteurs de gaz à effet de serre tels que l’Inde et la Chine sont davantage préoccupés par la croissance et la lutte contre la pauvreté.

Les restrictions carbone au commerce international, cependant, ne contribueront guère à réduire les émissions.

Les taxes sur les importations à forte intensité carbone en provenance de la Chine, par exemple, auront un impact négligeable parce que la grande majorité de ses exportations à fortes émissions se dirigent vers d’autres pays en développement.
Les barrières « carbone » aux échanges ont encore moins de sens quand on considère la nature de la production mondiale d’aujourd’hui.

Les pays riches « importent » environ un tiers de leurs émissions de CO2 (ce qui signifie la quantité de CO2 libérée dans la fabrication des produits importés), souvent de pays en développement.

La production d’un produit unique implique souvent d’échanger les composants entre différents pays. Les chaînes complexes d’approvisionnement ont apporté aux pays riches des biens moins chers et de meilleure qualité et des emplois bien rémunérés, ainsi que des infrastructures, de nouveaux emplois et des revenus plus élevés aux pays en développement.

Plus d’un quart de l’ensemble du commerce mondial des produits manufacturés porte désormais sur les composants intermédiaires, et non pas sur les produits finis. La valeur totale des échanges de composants est passée de 336 milliards de dollars en 1987 à 1.299 milliards de dollars en 2003. Les pays riches ne peuvent pas restreindre les importations sans nuire à leur propre production et leur propre croissance.

Ils protégeraient tout simplement leurs entreprises inefficaces qui sont vulnérables à la concurrence, au détriment des entreprises compétitives au niveau mondial.

Il y a quelques mois, par exemple, l’UE a étendu les droits de douane sur les importations de chaussures de l’Asie orientale à la demande de ses producteurs de chaussures non compétitifs. Mais ces droits de douane causent du tort aux entreprises de chaussures européennes efficaces qui ont beaucoup investi dans la fabrication en Asie : elles offrent aux consommateurs de l’UE des chaussures bon marché et entrainent aussi la création de nombreux emplois à valeur élevée en Europe, tels que dans l’innovation et le design. Une taxe sur les importations à bas prix est une taxe sur l’efficacité des entreprises européennes et sur tous les consommateurs - et elle crée des tensions inutiles avec d’importants partenaires commerciaux.

Les obstacles au commerce au nom du climat auraient le même effet et feraient monter les prix partout.

De manière confuse, le président américain Barack Obama a averti l’été dernier que « nous devons être très prudents sur l’envoi de signaux protectionnistes » au milieu d’une récession mondiale.

Pourtant, les Etats-Unis avec l’UE et le Japon ont rejeté avant Copenhague les demandes de l’Inde, la Chine et d’autres pays du G77 pour que ces économies riches « n’aient pas recours à toute forme de mesures unilatérales ... contre les biens et services importés en provenance des pays en développement pour des raisons de protection et de stabilisation du climat. »
Un modèle de la Banque mondiale estime que le protectionnisme vert de l’UE et des États-Unis pourrait réduire les exportations chinoises et indiennes de 20%. Le projet de loi des États-Unis pourrait affecter quelque 25 pays en développement.

La nature interdépendante du commerce mondial implique que toutes les barrières « carbone » pourraient être dommageables à la croissance dans les pays développés comme dans les pays en développement. Sarkozy, l’UE et le Sénat des États-Unis peuvent casser le commerce international, ou regarder la réalité en face.


Voir en ligne : Protectionnisme vert ou croissance ?


Article repris depuis Unmondelibre.org, avec l’aimable autorisation d’Emmanuel Martin. Image : culture de pommes de terre dans le Maine (Etats-Unis), licence CC, auteur Ranveig.

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