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Comment construire une Europe vraiment fédérale et vraiment démocratique

jeudi 25 septembre 2008

1 - Introduction

Toute entrée nouvelle au sein de l’Union européenne est subordonnée à l’acceptation par le pays concerné de trois principes formels :
Selon les "critères de Copenhague", il doit avoir un régime démocratique stable, accepter les principes de l’Etat de droit, respecter de manière suffisamment appropriée les droits de l’homme, et enfin s’engager à protéger les minorités.

Ce doit être une économie de marché qui fonctionne.

Enfin, le plus important, il doit endosser les obligations liées au statut de pays-membre et qui comprennent notamment l’adhésion aux objectifs de l’union économique et politique. Ce qui veut dire qu’il doit accepter d’intégrer dans son droit interne tout ce que l’on appelle "l’acquis communautaire" : l’ensemble des quelques 16 000 pages de textes et réglements produits par l’Union européenne depuis les débuts du Marché commun.

Du point de vue économique, ce sont les différences de niveau de vie avec les pays candidats qui causent le plus de problèmes. Ceci est particulièrement vrai pour les cinq pays d’Europe centrale et de l’est qui, selon l’avis du Conseil européen, répondent déjà aux trois exigences politiques ci-dessus, et avec lesquels les négociations d’adhésion ont commencé depuis le mois de mai 1998 (République Tchèque, Estonie, Hongrie, Pologne et Slovénie). Tous jouissent de niveaux de vie très inférieurs à ceux des membres actuels de l’Union européenne. Même le Portugal,

pourtant le plus pauvre des pays-membres, dispose d’un produit national brut moyen par habitant de 11 010 $, contre seulement 3 360 $ en Estonie. Et les écarts sont encore plus gigantesques lorsqu’il s’agit des cinq autres candidats potentiels : Bulgarie, Lettonie, Lithuanie, Roumanie et Slovaquie. Le revenu moyen par habitant est seulement de 1 140 $ en Roumanie, et de 1 170 $ en Bulgarie.

Cet obstacle est encore renforcé par les faiblesses qui caractérisent le processus de décision au sein de l’Union européenne. L’intégration des pays d’Europe centrale et de l’est se heurte ainsi, sur le plan économique, à quatre grand problèmes :

Il est impossible de maintenir le système intercommunautaire de redistribution des revenus fondé sur la politique agricole commune et l’action des fonds structurels. L’actuel système aboutirait à imposer un fardeau redistributif bien trop lourd aux membres initiaux de l’UE, y compris ceux qui aujourd’hui tirent profit de ces programmes de transferts.

L’arrivée d’un grand nombre de pays avec des populations dont les préférences sont très différentes imposera que le Conseil des ministres et la Commission se dotent de nouveaux mécanismes de délibération et de décision. Faute de quoi on risquerait la paralysie des institutions communes.

Les problèmes qui se posent aux frontières de l’Union européenne ne seront pas réduits mais bien au contraire aggravés, si les pays d’Europe centrale et de l’est qui demandent leur adhésion adoptent l’ensemble de l’acquis communautaire. Une telle Europe élargie sera lors directement au contact de pays comme l’Ukraine et la Belarussie dont les économies sont encore plus pauvres. L’apparition d’écarts de revenus d’une telle ampleur aux frontières mêmes de l’Union européenne créera de graves tensions.

Tout cela ne contribuera en rien à la solution du véritable problème de fond de l’actuelle Union européenne : celui de son déficit démocratique. Au contraire, l’élargissement le rendra encore plus grave. Sans réformes institutionnelles fondamentales, l’élargissement rendra les processus de négociation entre les membres encore plus complexes, et fera que les responsabilités s’en trouveront d’autant plus masquées et diluées. La conséquence sera de réduire d’autant l’influence politique des citoyens de base, et d’accroître l’amplitude des pouvoirs discrétionnaires détenus par les instances de décision communautaires. Cette perspective contribue à nourrir l’opposition de beaucoup à la politique d’élargissement de l’Union européenne, mais elle explique aussi la résistance croissante à son approfondissement.

Que fera l’Europe pour répondre à ces défis ? Un scénario plausible est déjà en train de s’esquisser. Les négociations vont durer longtemps, sans aucun doute beaucoup plus longtemps que ce à quoi les pays candidats s’attendent. Les conditions formelles d’adhésion seront maintenues, mais au prix de l’octroi d’une longue période de transition. Les pays d’Europe centrale et de l’est feront ainsi formellement partie de l’Union - ils participeront aux décisions - mais, sur le plan économique, ils seront encore loin d’être les égaux des autres. Ils bénéficieront de nombreuses exemptions au principe de l’acquis communautaire. Par exemple, les membres actuels s’opposeront à ce qu’on leur reconnaisse le bénéfice de l’application du principe de la liberté de mouvement des travailleurs, cependant qu’à l’inverse les nouveaux membres demanderont à bénéficier en échange d’exemptions à la liberté de circulation des biens, des services et des capitaux. Formellement, on trouvera toujours des formules de droit permettant de répondre aux problèmes posés, cependant que les vrais problèmes économiques de fond posés par l’intégration de ces nouveaux territoires resteront non résolus. Selon toute vraisemblance, la structure politique de l’Union ne sera pas fondamentalement changée. Seule sera sans doute modifiée la manière dont seront répartis les droits de vote, cependant que les règles de vote à l’unanimité ou à la majorité qualifiée seront elles aussi quelque peu assouplies. Ainsi le problème du déficit démocratique se touve-t-il finalement relégué au second plan par la focalisation actuelle sur la dynamique de l’élargissement. Tant que les négociations sur l’élargissement dureront, celles-ci capteront toute toute l’énergie réformatrice de l’Union, et il est donc peu probable qu’on fasse quoi que ce soit durant cette période pour améliorer le fonctionnement démocratique des institutions européennes et y renforcer l’influence des citoyens. Tout ceci implique que l’Europe s’en sorte finalement en se débrouillant tant bien que mal, mais sans vraiment affronter de face les vrais problèmes de fond posés par l’élargissement du nombre de pays membres.

L’objet de ce texte est de proposer une autre approche, radicalement différente, fondée sur l’application du raisonnement économique. Tout en étant opposée à la démarche essentiellement empirique vers laquelle on s’oriente, il ne s’agit en rien d’une proposition utopique, mais au contraire d’une approche qui pourrait être immédiatement mise en œuvre dans le cadre des discussions sur l’élargissement.

Notre idée est essentiellement qu’au lieu de lui imposer d’office la contrainte de devoir accepter l’ensemble de l’acquis communautaire (une démarche de tout ou rien), un pays candidat devrait se voir offrir la possibilité d’une adhésion partielle. Selon notre projet, les pays d’Europe centrale et de l’est devraient avoir l’option de choisir de n’adhérer que pour les fonctions ou les domaines où ils espèrent que leur adhésion leur apportera un avantage positif, cependant qu’ils pourraient rester "en dehors" pour tout le reste. Les nouveaux membres potentiels pourraient ainsi ajuster leur politique d’adhésion à un calcul de coûts/avantages tenant compte tant de ce que cela peut leur rapporter que de ce que cela peut leur coûter, ou des coûts qu’ils sont prêts à assumer, selon les domaines où ils décideraient de s’intégrer à la législation européenne. Pour reprendre un jargon économique, leur entrée dans l’Europe serait ainsi liée à l’intensité de leur demande pour différents types de services ou de politiques. Elle ne leur serait pas imposée dans les domaines où leur demande serait la plus faible, où leur population accepterait le plus difficilement d’en supporter les coûts.

Afin de rendre possible une telle flexibilité, nous proposons la création d’une nouvelle espèce de juridiction politique et administrative - pour laquelle nous nous contenterons d’utiliser l’acronyme FOCJ -, qui ne recoupe aucune de toutes celles qui existent déjà, tant au niveau européen qu’à celui des Etats-membres. Ces nouvelles entités, généralement monofonctionnelles, non nécessairement liées à une base territoriale prédéterminée, et - selon les cas - à vocation transnationale, ne résulteraient pas d’une création venant "d’en haut", à l’initiative des autorités européennes, mais sont conçues pour être laissées à la libre initiative des sociétés civiles. Au fur et à mesure que les pays d’Europe centrale et de l’est se développeront, le nombre de ces nouvelles institutions volontaires, impliquant des pays différents, et concernant des domaine d’action publique variés, augmentera au point d’entretenir un véritable mouvement d’intégration. Mais avec elles, cette intégration se fera selon un principe de géométrie variable bien plus efficace pour en assurer la réalisation que la démarche qui nous est actuellement imposée.

Ce que nous proposons ainsi va bien au-delà du processus d’intégration à vitesses variables tel qu’il a été mis en œuvre dans le cadre de l’Accord de Schengen, dans celui de l’Union monétaire (qui ne regroupe pas tous les pays membres de l’UE), ou tel qu’il a été envisagé par le Ministre allemand des affaires étrangères avec la constitution d’un "cœur" de pays européens auquel viendraient s’associer de manière flexible un certain nombre d’autres pays-membres en fonction de leur intérêt pour certains objectifs ou certaines politiques.

2 - Notre projet : les FOCJ.

Le nouveau type de juridiction politique et administrative que nous proposons pour faciliter le processus d’intégration des pays d’Europe centrale et de l’est au sein de l’Union européenne présente quatre caractéristiques. FOCJ est un acronyme qui résulte de l’addition des quatre lettres :
F (Functional) : il s’agit d’unités de gouvernement qui se définissent non pas par le territoire auquel leur autorité s’applique (démarche traditionnelle), mais par la nature du service collectif qu’elles rendent.
O (Overlapping) : les services qu’elles offrent ne sont pas attachés à la population de certains territoires délimités, et ne bénéficient d’aucun monopole ; en conséquences, les aires de service correspondant aux fournitures rendues par des unités conçues pour répondre à des besoins différents, peuvent très bien se chevaucher.
C (Competing) : tout communauté locale ou régionale de l’espace européen élargi est libre de choisir à quelle juridiction fonctionnelle elle désire être rattachée pour la fourniture de tel ou tel service. Ces nouvelles juridictions fonctionnent selon un principe d’auto-gouvernement démocratique, avec élections et recours à l’expression directe des préférences via l’utilisation d’initiatives de référendums populaires.
J (Juridictions) : ces unités de services collectifs dont l’activité peut s’étendre par delà les frontières des pays respectifs membres de l’UE sont bel et bien des unités de gouvernements au sens où, pour fonctionner, elles disposent du droit de lever l’impôt auprès des populations qui ont fait le choix d’y être rattachées pour disposer d’un certain type de prestations.

Le concept de ces FOCJ découle des principes de base sur lesquels se fonde la théorie économique moderne du fédéralisme. Ce n’en est pas moins un concept très différent des systèmes de fédéralisme que l’on trouve généralement dans la littérature. Les théoriciens du fédéralisme se limitent à analyser et modéliser le comportement de différents niveaux d’autorités gouvernementales pour en tirer des conclusions d’ajustement institutionnel. Dans le cas des FOCJ, il ne s’agit pas d’un niveau supplémentaire ni complémentaire d’autorité publique, mais de quelque chose d’une nature radicalement différente dans la mesure où l’essence de ces nouvelles autorités est d’émerger spontanément d’initiatives de terrain en réponse précisément à des problèmes locaux ou régionaux d’intégration.

Nous allons maintenant préciser en quoi ces quatre caractéristiques qui définissent les FOCJ les éloignent ou les rapprochent des institutions fédérales existantes.
Fonctions.

Le principe de l’efficacité économique dicte qu’un service public particulier, rendu à des populations localisées sur un certain espace géographique, doit être financé seulement et exclusivement par les gens qui y vivent (il ne doit pas y avoir d’"effets de débordement" bénéficiant à des "passagers clandestins"). Rien ne dit que les préférences pour un certain type de service soient uniformes sur l’ensemble d’un territoire. Plusieurs unités gouvernementales spécialisées peuvent donc cohabiter (et se faire concurrence) pour répondre aux désirs particuliers de segments de populations aux préférences différentes. Pour réduire les coûts, il est utile que celles-ci exploitent au maximum les effets d’échelle. Mais comme le niveau de ces économies d’échelle varie beaucoup d’une fonction à l’autre (école, police, équipements sportifs, environnement…), il en découle qu’il y a peu de chances pour que les unités de gouvernement spécialisées dans la production de ces différents services collectifs se caractérisent par une dimension "optimale" identique. La recherche de l’efficacité sociale commande donc qu’au lieu d’unités homogènes et multi-fonctions de production de services en situation de monopole, on ait plutôt une grande diversité d’unités mono-fonctionnelles, spécialisées dans la prestation d’un certain type de service, de tailles extrêmement variables, et exerçant leur autorité sur des aires géographiques se chevauchant.

Il s’agit d’une simple application du théorème de "l’équivalence fiscale" formulé par Olson (1969) et Oates (1972). Ce théorème n’a toutefois jamais été appliqué au fonctionnement concret des modes de décision publics, ni à la conception politique de nouvelles institutions. C’est cette lacune que couvre le concept des FOCJ.
Chevauchements.

Il peut y avoir deux types de chevauchement : (i) le premier, lorsque des FOCJ spécialisées dans des fonctions différentes exercent leur activité sur des aires géographiques qui se recouvrent partiellement ; (ii) le second, lorsque une ou plusieurs FOCJ fournissent les mêmes types de services à des populations vivant sur des territoires qui se recoupent (par exemple si l’on avait, sur un même territoire, des sortes de districts scolaires conçus pour satisfaire des préférences ou des besoins différents en matière d’éducation). Normalement sur le territoire d’une unité politique traditionnelle on devrait observer la présence de plusieurs FOCJ exerçant leur activité soit à une échelle géographique plus limitée, ou au contraire plus vaste. Ces FOCJ n’ont pas besoin d’être nécessairement voisines les uns des autres. Leur activité ne bénéficie d’aucune espèce de monopole géographique. C’est donc un concept qui rompt radicalement avec la mentalité traditionnelle où l’activité publique ne peut pas être conçue indépendamment de la jouissance d’un monopole territorial, et d’où dérivent toutes les idéologies nationalistes qui ont fait tant de mal pour la seule conquête de quelques bouts de territoire. C’est aussi une rupture avec l’idéologie fédérale classique qui exclue toute idée de chevauchement entre des autorités politiques de même rang. En revanche, il s’agit d’une idée qui rappelle beaucoup celle des Clubs de Jim Buchanan (1965).
Concurrence.

Deux mécanismes contraignent les dirigeants des FOCJ de se conformer autant que possible aux préférences de leurs "clients" : le premier est le droit de ceux qui se sont inscrits aux fournitures d’un FOCUS - singulier de FOCJ - d’en divorcer pour aller s’inscrire sur les rôles d’une autre autorité concurrente (il s’agit d’un principe de concurrence qui reproduit le mécanisme du marché) ; le second est celui de leur démocratie interne (le droit de vote du ressortissant qui crée une concurrence politique). Il est à noter qu’en l’occurrence le droit d’exit n’est pas lié à la seule possibilité de "voter avec ses pieds" en choisissant d’émigrer. Le principe des FOCJ est au contraire qu’il doit être possible de "faire sécession" sans pour autant être contraint de changer de résidence.

A plusieurs reprise l’existence d’un véritable droit de sécession a été présenté comme une condition indispensable à la mise en place d’une Europe authentiquement démocratique (Buchanan 1991, European Constitutional Group 1993). Ce principe entre en conflit direct avec les philosophies politiques dominantes, tant nationalistes que fédéralistes, pour lesquelles la présence d’un tel droit est quelque chose qui n’est même pas concevable, et qui, de toute façon, doit être combattu, même par la contrainte. C’est ainsi que les traités européens actuels ne mentionnent aucune possibilité de sécession vis à vis de l’Union, et a fortiori par rapport à aucun Etat membre. Toutefois, le mécanisme de l’exit conçu pour les FOCJ est différent en ce que, alors que la sécession - au sens classique du terme - ne peut être que totale, il doit être possible ici de "divorcer" d’une ou plusieurs fonctions exercées par une autorité politique particulière, sans pour autant renoncer à toutes.

Pour que le système des FOCJ conduise à une situation réelle de concurrence entre unités politiques, il faut que cet exit soit aussi libre que possible. Mais si le divorce d’un membre entraîne un coût pour les autres, il est normal que son droit de divorce soit soumis au paiement d’une indemnité. La liberté de faire sécession doit avoir pour contrepartie le paiement d’un prix. De la même manière, l’adhésion à un nouveau club n’a pas à être gratuite si l’arrivée d’un membre supplémentaire entraîne la nécessité de nouveaux investissements. Comme pour les Clubs à la Buchanan, on peut imaginer que l’arrivée de nouveaux individus soit soumise à ratification auprès des membres qui peuvent démocratiquement décider quel prix leur demander pour les accueillir.

A elle seule la concurrence ne suffit cependant pas à discipliner les gouvernements et à les contraindre à se comporter de manière efficace. Il faut également des mécanismes de contrôle institutionnels. Les citoyens devraient pouvoir élire directement les dirigeants des FOCJ auxquels ils adhèrent, mais également avoir le droit d’initier la convocations de référendums d’initiative populaire sur des sujets spécifiques. On sait que de tels mécanismes sont "efficaces" en ce sens qu’ils contraignent à tenir davantage compte des préférences individuelles ( sur la fonction des élections voir Downs, 1957, Mueller 1989 ; sur l’avantage des référendums voir Frey 1994, Frey et Stutzer 2000, Eichenberger 1999).

D - Juridictions

Le FOCUS est une juridiction publique et démocratique ayant le pouvoir de prélever l’impôt sur les citoyens qui ont choisi d’en être membres. Le membre de base d’un FOCUS est généralement la commune, la plus petite entité politique et administrative. Tous les habitants deviennent automatiquement citoyens des FOCJ auxquels la commune adhère. Il leur revient de payer les impôts et les taxes nécessaires au financement des services publics rendus individuellement par chacun de ces FOCJ.

3 - Les FOCJ et l’élargissement de l’Europe

A) L’idée générale.

Le mécanisme des FOCJ a l’avantage d’autoriser une intégration plus souple, quasiment taillée sur mesure. Il s’oppose radicalement à la technique de "l’acquis communautaire" fondée sur le principe d’une intégration uniforme, la même pour tous. Dans un système de FOCJ, les pays ou même les régions, auraient la liberté de rechercher par eux-mêmes les domaines pour lesquels ils éprouvent un réel besoin de coopérer, sans y être forcés, et sans avoir à se lier à tout prix à d’autres lorsqu’ils estiment qu’ils peuvent très bien se débrouiller tous seuls. Le caractère purement volontaire du mécanisme n’implique pas que le système des FOCJ conduise nécessairement à moins d’intégration que la technique de l’acquis communautaire. Pour trois raisons. D’abord parce qu’il réduit le coût subjectif de l’intégration tel que perçu par les citoyens - ce qui ne peut que les encourager à exprimer une demande d’intégration plus forte dans la mesure où celle-ci se fait dans des conditions d’efficience et de démocratie plus grandes. Ensuite parce qu’avec un tel système l’intégration des anciens pays communistes ne se réduirait plus à un choix entre "tout ou rien". Le mécanisme des FOCJ donnerait aux pays qui ne sont pas en mesure d’adopter tout de suite tout l’acquis communautaire un moyen de s’y intégrer progressivement, morceau par morceau, sans avoir à attendre d’être fin prêts. Enfin, il n’est pas interdit de penser que la pratique des FOCJ autoriserait certains à aller, dans certains domaines, bien au-delà de ce qu’autorise la seule démarche de l’acquis communautaire.

Bien évidemment, cette idée d’intégration différentiée n’est pas totalement nouvelle. Les procédures communautaires permettent aux pays candidats de s’intégrer à l’ensemble à des rythmes différents, selon qu’on leur accorde des périodes de transition plus ou moins longues. Il s’agit cependant de procédures exceptionnelles, considérées comme anormales et tout à fait temporaires. Qui plus est, personne ne peut aller plus vite que le train, même s’il en a envie : les traités n’autorisent pas la formation de noyaux d’intégration autonomes allant au delà de ce qui est prévu pour tous. Un pays candidat à l’entrée qui n’est pas encore en mesure d’accepter toutes les disciplines de l’acquis communautaire mais qui, dans certains domaines spécifiques, serait prêt à pousser très loin son intégration à d’autres pays voisins, n’est pas libre de choisir les partenaires avec lesquels il pourrait s’entendre. Le mécanisme des FOCJ autoriserait des formes d’intégration partielle allant bien au-delà de ce qui est explicitement prévu par les traités. Dans les domaines concernés, c’est à une sorte de véritable gouvernement en commun, regroupant des représentants élus de communautés appartenant à des nations différentes, que l’on aurait affaire. Un tel arrangement faciliterait beaucoup le développement d’un sentiment d’identification ou d’appartenance communautaire fondé sur la solidarité de ses membres.

B) De nouvelles opportunités.

Il pourrait y avoir trois sortes de FOCJ :

a) Des FOCJ constitués par l’association de communes et de régions appartenant, les unes, à des pays membres de l’Union européenne, les autres, à des pays n’ayant pas encore officiellement rejoint l’Union.

C’est dans les zones frontalières qu’on les trouverait. Un domaine particulièrement approprié pour le développement d’une telle coopération serait celui du traitement des pollutions et de l’environnement - par exemple la pollution des eaux. Une ou plusieurs communes appartenant chacunes, disons, à l’Autriche, à la Hongrie ou à la Slovénie, pourrait se rejoindre pour former un FOCUS approprié. Celui-ci serait dirigé par des personnalités directement élues par les citoyens des communes impliquées. Son rôle serait de gérer la qualité des eaux de la zone, d’y déterminer le niveau des normes à appliquer en fonction des préférences exprimées par les électeurs, et enfin, bien sûr, de lever l’impôt nécessaire au financement de cette tâche. Les communes hongroises et slovènes concernées pourrait ainsi exiger que soient appliquées sur leurs territoires des normes de pollution plus exigeantes que celles généralement en usage dans leur pays. Et les communes autrichiennes membres de l’organisation seraient assurées de mieux contrôler les sources de pollution situées de l’autre côté de la frontière, en territoire hongrois ou slovène.

b) Des FOCJ constitués par l’association de pays membres de l’Union et de pays non-membres. Prenons par exemple le problème de l’immigration. L’Allemagne craint d’être envahie par un trop grand afflux de travailleurs bon marché provenant des ses ex-voisins communistes. Ses syndicats font pression sur le gouvernement pour qu’il s’oppose à un traité d’entrée qui ferait bénéficier la main d’œuvre polonaise d’une totale liberté de circulation, à l’égal des droits dont jouissent déjà tous les travailleurs des pays de l’Union européenne. Seul le gouvernement allemand est véritablement concerné. On peut imaginer que les autres pays de l’Union soient favorables à une plus grande liberté d’immigration, de manière à bénéficier des gains économiques que permettrait l’exploitation d’un tel marché de main d’œuvre moins chère. Actuellement, c’est tout ou rien. Ou ce sont les allemands qui l’emportent et qui obtiennent que la même protection contre les mouvements de main d’œuvre polonaise s’applique à tous les pays membres. Ou les autres résistent, et le gouvernement allemand se fâche avec ses syndicats qui lui créent des problèmes. La technique des FOCJ rendrait possible une autre solution. La Pologne et les autres pays membres de l’Union pourraient s’associer pour libérer entre eux les mouvements de main-d’œuvre et intégrer leurs marchés du travail sans obliger les allemands à faire de même. La mobilité ainsi garantie leur donnerait un avantage concurrentiel par rapport à l’Allemagne, cependant que les syndicats allemands obtiendraient satisfaction sans devoir pour cela freiner le mouvement global d’intégation communautaire.

c) Des FOCJ réunissant l’ensemble des pays membres et des pays candidats à l’Union européenne. Tant les uns que les autres ont un intérêt commun à freiner le développement des activités criminelles des nouvelles mafias transnationales. Actuellement, le problème est traité, au niveau international, de manière purement bureaucratique grâce à des organisations comme EUROPOL ou INTERPOL, avec relativement peu de résultats. Un FOCUS transeuropéen créé pour traiter spécialement des affaires de police obtiendrait sans doute des résultats plus efficaces dans la luttre contre les mafias dans la mesure où un lien très direct serait ainsi rétabli entre ses responsabilités de gestion et de financement. Une telle organisation, responsable de lever et de gérer ses propres ressources financières, aurait la capacité de redistribuer ses ressources en fonction de là où elles sont les plus nécessaires - ce qui, actuellement, ne peut pas se faire. Il n’y a aucune force de police européenne, même pour des objectifs très spécifiques. La constitution d’un tel FOCUS communautaire permettrait de mener l’intégration européenne bien au delà de son niveau actuel, au moins dans un domaine particulier. Rien ne s’opposerait à ce que d’autres pays qui, eux, n’ont aucunement l’ambition d’intégrer l’Europe, mais son concernés par les mêmes problèmes - comme la Russie ou les pays du Maghreb - en fassent également partie.

C - La réponse aux problèmes de l’élargissement.

Le concept des FOCJ permet d’apporter une solution aux quatre grands problèmes qui entravent les négociations sur l’élargissement :

1° Le problème des transferts. Cette technique réduit l’importance de l’obstacle lié aux différences de niveau de vie et qui fait que les flux de transferts au sein de l’Europe seraient profondément modifiés au profit des nouveaux membres. Tout d’abord, une Europe fonctionnant selon le principe des FOCJ réduirait la demande globale de transferts au sein même de l’actuelle Union européenne en raison de la possibilité pour chaque pays membre de ne souscrire qu’à des politiques communautaires produisant des gains coopératifs élevés. De la même façon, la demande de redistribution de la part des pays candidats à l’entrée se trouverait également diminuée du fait qu’ils n’auraient pas à payer le prix d’adhérer nécessairement à des politiques dont ils ont peu à gagner, voire tout à perdre, mais qui à l’heure actuelle font partie du paquet obligé de l’acquis communautaire. Ils ressentiraient moins le besoin d’obtenir des compensations. Enfin, il est probable que les pays membres qui, actuellement, bénéficient le plus des transferts communautaires s’opposeront à un élargissement qui conduirait à changer les principaux flux de transferts en direction des nouveaux entrants. Avec la technique des FOCJ il serait possible de dissocier les deux problèmes.

2° Le problème des structures de décision. Actuellement, si des pays membres sont opposés à l’admission de nouveaux membres, ils n’ont pas d’autre solution que de faire jouer leur droit de veto, bloquant ainsi tout le processus. Une solution préférable serait de leur confier le droit de se retirer de celles des politiques communautaires où l’entrée de nouveaux candidats comporterait pour eux plus de coûts que d’avantages. C’est ce qu’il serait possible de faire avec une Europe construite sur la technique des FOCJ. Dans un tel cas de figure, l’admission de nouveaux membres ne contraindrait même pas à revoir la structure des mécanismes de décision au sein de l’Union.

3° Le problème des relations avec les pays hors de l’espace européen. La reconception de l’Europe autour de FOCJ lui permettrait de s’étendre de manière différenciée sans impliquer de rupture brutale avec les autres pays qui, eux, se trouvent de l’autre côté de leurs frontières. Cette progressivité dans l’adhésion résulterait du fait que l’entrée dans l’Europe pourrait se faire par la voie de FOCJ particuliers, concernant certaines fonctions publiques, sans avoir à souscrire d’emblée à l’intégralité du programme communautaire. Par ailleurs, ces modes de coopération limitée pourraient être aussi bien étendus à des régions faisant partie de pays qui n’ont pas pour objectif d’adhérer à l’Union européenne (comme l’Ukraine, la Biélorussie, la Russie).

4° Le problème du déficit démocratique. Celui-ci serait traité par la voie du fonctionnement démocratique des organes de gestion des FOCJ - c’est à dire en étant repris "à la base".

4 - Evaluation.

Le mécanisme des FOCJ comporte beaucoup d’avantages par rapport aux techniques traditionnelles d’intégration telles qu’actuellement mises en œuvre au sein de l’Union européenne. L’un de ces avantages concerne les motivations des dirigeants publics et la manière dont ils sont conduits, ou non, à tenir compte des préférences plus ou moins hétérogènes de leurs concitoyens. Dans la mesure où la fonction d’un FOCUS est de se concentrer sur l’accomplissement d’une seule tâche, ses ressortissants bénéficieront en général d’une meilleure information que ce n’est le cas avec nos bureaucraties traditionnelles. Ils seront mieux à même de comparer ses réalisations à celles d’autres entités publiques. D’autant que la taille de plupart de ces nouvelles autorités devrait rester limitée, les économies d’échelle y étant généralement peu importantes. Le droit pour chaque individu de démissionner et de rallier une autre juridiction rivale est un élément important qui devrait contraindre les responsables à mieux répondre à la diversité des préférences individuelles que ce n’est le cas dans les formes d’organisation publique actuelles.

D’une manière générale, les FOCJ devraient rendre leurs services à moindres coûts que les bureaucraties traditionnelles dans la mesure où la flexibilité du système permet de limiter les effets de débordement (lorsque des gens bénéficient d’un service pour lequel ils n’ont pas contribué) tout en tirant au mieux parti des économies d’échelle possibles. Si l’aire naturelle de fourniture d’un service est particulièrement vaste, on peut imaginer qu’un FOCUS regroupe un grand nombre de communautés locales appartenant aussi bien à des pays de la communauté qu’à d’autres qui n’en sont pas encore membres. On peut aussi envisager que plusieurs pays s’entendent pour former entre eux un FOCUS. Dans ce cas, on aurait quelque chose qui ressemblerait aux institutions particulières mises en place dans le cadre des accords de Schengen ou pour la monnaie unique. Mais avec une grande différence qui est que chaque FOCUS est en soi une institution gérée démocratiquement par des dirigeants élus et qui assure son propre financement en levant ses propres impôts.

La crainte de voir ceux qui paient cet impôt quitter volontairement le FOCUS où ils sont inscrits parce qu’ils sont mécontents des services rendus, ou, à l’inverse, l’envie d’attirer vers soi les clients mécontents des autres organisations rivales, doivent normalement inciter les dirigeants à tenir autant que possible compte des préférences individuelles, ainsi qu’à gérer leur organisation de la manière la plus efficace. Un autre avantage est que le mécanisme des FOCJ devrait favoriser l’ouverture du monde fermé de la politique à l’offre de services de gens professionnellement plus compétents. Alors que le système actuel a comme caractéristique d’orienter vers la politique et l’administration des gens au savoir plutôt généraliste, les FOCJ auront au contraire comme intérêt d’attirer vers des fonctions de service public davantage de professionnels disposant de connaissances spécialisées et ayant déjà fait la preuve de leurs compétences dans des domaines comme l’éducation ou la santé.

Avec la mise en place d’un tel réseau de FOCJ, les nations perdront certainement un certain nombre de leurs fonctions traditionnelles, au profit de nouvelles alternatives de moindre dimension, ou au contraire de nature multi-nationale, selon ce que les citoyens préfèreront. Mais il n’y a pas de raison pour qu’elles disparaissent totalement. Les Etats-nations survivront pour autant qu’ils sauront ajuster efficacement leurs services aux demandes des électeurs.

Il y a déjà deux pays où l’on rencontre des institutions dont la nature se rapproche plus ou moins de celle des FOCJ, avec des mécanismes de gestion démocratique, bien qu’elles en soient encore assez différentes (cf Frey et Eichenberger, 1999). Il s’agit des Etats-Unis et de la Suisse. Le mécanisme américain est celui des districts spéciaux.

En Suisse, la structure des services rendus par les cantons partage nombre des caractéristiques offertes par les FOCJ : ces services débordent souvent les seules limites territoriales cantonales et sont offerts en concurrence avec les services d’autres cantons limitrophes. L’exemple suisse montre que l’idée d’une mutiplicité de juridictions fonctionnelles gérées démocratiquement n’est pas farfelue, mais correspond à quelque chose qui fonctionne et a déjà fait ses preuves.

5 - Comparaison avec d’autres projets.

Le mécanisme des FOCJ est très différent d’un certain nombre d’autres idées qui ont été récemment avancées pour renouveler le processus de la construction européenne. L’une de ces idées est celle faite en 1991 par le prix Nobel d’économie Jim Buchanan. Le professeur américain insiste pour qu’un droit de sécession soit reconnu aux Etats membres, mais, curieusement, sa proposition est construite en dehors de toute référence à la théorie des clubs dont il fut pourtant l’inventeur. Un second type de projet est celui publié en 1993 par le Groupe Constitutionnel Européen qui s’inspire essentiellement de l’exemple de la constitution américaine et formule des propositions de nature constructiviste concernant le fonctionnement des mécanismes parlementaires ainsi que la répartition des droits de vote entre les différents pays membres. L’idée de juridictions concurrentes dotées de prérogatives non exclusives n’y est même pas évoquée, tout comme l’utilisation de référendums d’initiative populaires. De plus, le droit de sécession y est soumis à des conditions extrêmement restrictives. D’autres économistes (Blöchliger et R.L.Frey 1992, Schneider 1992) s’en tiennent à préconiser un renforcement des formes traditionnelles de fédéralisme (sous la forme d’une dévolution plus large des pouvoirs aux unités fédérées) mais n’examinent pas la possibilité de juridictions concurrentes dont les pouvoirs pourraient se chevaucher. Dernièrement, le Center for Economic Policy Research (1993, 1995) a flirté avec l’idée de juridictions gouvernementales de nature a-territoriale, et donc susceptibles d’entrer en concurrence. Mais le concept n’a pas été poussé très loin. Le problème de leur fonctionnement démocratique n’a pas même été posé. Non plus que la nécessité de leur reconnaître le droit de lever l’impôt. Enfin, on n’y trouve aucune référence aux problèmes de l’intégration européenne.

Par ailleurs, les FOCJ n’ont rien à voir avec les régions, telles qu’elles sont prises en considération dans les institutions européennes ou dans les traités (cf Adonis et Jones 1991). La grande différence vient principalement de ce que les FOCJ sont conçues comme des institutions émergeant de la base, alors que les régions sont des entités généralement créées d’en haut, par la force du pouvoir régalien de l’Etat. Qui plus est , le plus souvent les régions n’ont d’existence que grâce aux subventions qui leur sont versées par les Etats ou par la Communauté européenne, alors que le principe central des FOCJ est celui de leur autonomie financière (garanti par leur droit de lever l’impôt). Pour le dire autrement, les régions sont un concept de nature fondamentalement constructiviste, alors que les FOCJ correspondent davantage à la vision qu’Hayek a de l’émergence naturelle des institutions. Selon cette vue, il est totalement impossible de déterminer par avance quelles seront les institutions de ce type qui auront plus tendance que d’autres à émerger spontanément, ni de dire lesquelles auront toute chance de se révéler efficaces ou pas. Leur création doit être totalement laissée à la démarche spontanée d’initiatives locales se déroulant dans le cadre de procédures de vote démocratiques. Il faut seulement veiller à ce que les constitutions des pays du centre et de l’est de l’Europe qui sont candidats à l’adhésion ne mettent aucun obstacle à l’émergence spontanée de telles institutions. A la différence d’Hayek, il n’est pas question de nier que ce mouvement doive s’accomplir dans un cadre réglementé (comme les critères de Copenhague mentionnés au début).

Parlons enfin de la "subsidiarité". Telle qu’elle apparaît dans le Traité de Maastricht, il s’agit plus d’un vague objectif à réaliser que d’un concept ayant un contenu réel et concret (cf Center for Economic Policy Research, 1993). Même si on la prenait au sérieux, il s’agit d’un principe qui de toute manière n’auraient aucune chance de contribuer à la mise en place de véritables structures fédérales dans la mesure où la plupart des pays membres et des pays candidats sont en fait des Etats unitaires privés de sous-unités politiques ou administratives disposant de compétences réelles suffisamment significatives (exemples des Pays-Bas, de la France, ou encore de la Suède). Il existe bien des "régions" dotées d’une existence reconnue ( la Galice et la Catalogne en Espagne, le Tyrol du sud et la Sicile en Italie), mais même celles-ci sont encore loin de ressembler à de véritables institutions dotées d’un mode de fonctionnement autonome s’appuyant sur d’authentiques compétences fiscales.

Le Conseil des Ministres européen est un centre de décision fondé sur des principes fédéraux (mais où seules les nations sont parties prenantes), et organisé selon des principes fonctionnels (avec une direction administrative européenne par grande fonction politique). Mais la nature démocratique de ce conseil n’est qu’indirecte (les ministres qui y siègent sont seulement membres de gouvernement dont la légitimité démocratique est assurée dans le cadre d’élections nationales), et ses délibérations ne sont pas publiques. Rien n’est prévu quant à la possibilité pour un pays membre de sortir de l’Union. Certains pays bénéficient bien d’exceptions qui les exemptent de l’obligation d’appliquer chez eux certaines politiques communes décidées majoritairement ( comme ce fut le cas lors du Traité de Maastricht pour le lancement de l’Union monétaire ainsi que le Protocole sur la politique sociale, ou à Schengen pour ce qui concerne la liberté de circulation des personnes) ; mais ces exceptions ne sont accordées qu’à corp défendant, avec beaucoup de réticence. Elles sont généralement considérées comme étant contraires à "l’esprit européen".

A chaque fois que de nouvelles expressions naissent pour exprimer le besoin d’une construction européenne plus différenciée - "l’Europe à géométrie variable", "l’Europe à la carte", une Europe "à plusieurs vitesses", la distinction entre "le cœur" européen et sa "périphérie", les "cercles concentrique", etc. - , elles ravivent de très vives oppositions. Dans un système de FOCJ, au contraire, toute évocation d’institutions fonctionnelles n’ayant pas nécessairement vocation à s’appliquer à tout le monde de la même façon serait reçue comme l’expression naturelle d’un besoin reflétant la grande diversité et hétérogénéité des demandes en provenance du corps social.

6 - Conclusions finales.

Le mécanisme des FOCJ apporte une solution institutionnelle aux problèmes posés par l’intégration des pays du centre et de l’est de l’Europe à l’Union européenne. Actuellement, les leaders politiques de l’Union exigent que ces nations adhètent totalement au contenu de "l’acquis communautaire" bien que leur niveau de développement institutionnel et économique diffère profondément de celui des pays membres. Le système des FOCJ permettrait leur intégration progressive et diversifiée en fonction des domaines et des niveaux où cette intégration aurait localement la chance de se faire dans des conditions d’efficacité et de contrôle démocratique les meilleures possibles. L’émergence de ces nouvelles entités politiques et administratives monofonctionnelles et à caractère transnational, chevauchant les frontières aussi bien à l’intérieur de l’Union européenne que vers les pays qui n’en sont pas encore formellement membres, aiderait à surmonter les énormes coûts économiques et financiers qui font obstacle à l’intégration de ces derniers. Mais elle aurait aussi le mérite d’introduire un élément de véritable démocratie dans une construction européenne dont le "déficit démocratique" n’est que trop dénoncé.

En associant des communes situées de part et d’autres des frontières de deux ou plusieurs pays-membres, les FOCJ contribueraient à relancer la dynamique de la construction européenne par la base, en y impliquant directement des citoyens qui se sentiraient plus concernés, et donc plus motivés. Il n’y a sans doute pas meilleur moyen pour contribuer à l’émergence enfin d’un vrai "esprit européen".

Les historiens nous rappellent que c’est l’existence d’une concurrence politique et économique entre un grand nombre d’espaces institutionnels rivaux dont les frontières s’entre-mêlaient qui, au Moyen-âge, a servi de terreau à l’émergence de la puissance politique et économique européenne, ainsi qu’à son rayonnement culturel (cf Hayek 1960, Jones 1981, Rosenberg et Birdzell 1986, Weede 1993). A l’image de ce modèle, l’adoption sans réserve du mécanisme des FOCJ devrait naissance à un vaste réseau fédéral d’unités politiques et administratives remplissant une grande variété de tâches, et exerçant leurs juridictions sur des espaces géographiques aux dimensions les plus diverses. Refondée sur le concept des FOCJ, l’Europe ne donnera plus le spectacle d’une construction bureaucratique et centralisée, mais l’image de cette diversité même qui fut historiquement à l’origine de ses succès.


Traduction par Henri Lepage

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